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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/464

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elle-même. Plus qu’ingénieuses et plaisantes, deux scènes au moins de Mme Chrysanthème sont d’une véritable, d’une émouvante beauté. La première est le dialogue, par où commence l’ouvrage, entre Pierre et son « frère Yves, » sur la passerelle du navire qui les emporte au loin. Ce lointain mystérieux, attirant, Pierre se le figure sous plus d’un aspect tour à tour. Tantôt, insouciant, il s’en amuse d’avance ; tantôt il y rêve, pensif et vaguement charmé. Mais en lui, soudain, voici qu’un souvenir surgit et, plus fort que son rêve, en dissipe le charme. Ce n’est plus le Japon, qu’il imagine et qu’il désire, c’est la Bretagne qu’il se rappelle, qu’il regrette, et qui le reprend. La reprise est soudaine, plus que mélancolique, tout près d’être poignante. Ce prologue d’une œuvre exotique reste étroitement lié pour nous, ou plutôt, dans l’ordre et par les formes de la musique, il correspond à la définition profonde qu’un jour, et justement, croyons-nous, à propos de Loti, Jules Lemaître donna de l’exotisme : « Tandis que nous imaginons de nouveaux aspects de l’univers, il arrive qu’une fois bien entrés dans ces visions, nous y sommes mal à l’aise et vaguement angoissés ; nous y sentons le regret nostalgique des visions connues, familières, et que l’accoutumance nous a rendues rassurantes. » Voilà précisément ce qui donne ici à la musique de M. Messager, comme souvent à la prose, — ou à la poésie, — de Pierre Loti, quelque chose de délicieux et de douloureux à la fois.

N’allez pas croire pour cela que la musique de Mme Chrysanthème fasse le moins du monde, par un trop facile artifice, l’exotique et la japonaise. Sans emprunter à l’Extrême-Orient un mode, une cadence, une harmonie, elle fait bien davantage. Plus soucieuse du dedans que du dehors, c’est à l’expression plutôt qu’à la description qu’elle vise. Il arrive pourtant qu’elle les rencontre ensemble, dans certain air très beau, — ce n’est qu’un « air, » en vérité, — très libre aussi, très souple, sans reprises ni redites, qu’une symphonie qui l’égale, accompagne et renforce. Il est chanté, cet air, ou cet hymne, par le jeune officier de marine revoyant le pays étrange et la petite maison témoin de ses nippones amours. Là encore les deux sentimens analysés tout à l’heure se partagent l’inspiration du musicien, la plus chaude peut-être dont ait jamais battu son cœur. Là encore, aux délices dont l’exotisme nous enivre, l’inquiétude et presque la douleur dont il nous tourmente se mêle. Pleine de désirs et de volupté, la musique l’est aussi de regrets, de mélancolie, presque de larmes. Alors elle nous divise, elle n’est pas loin de nous déchirer. Tandis qu’une moitié de nous-même s’abandonne, l’autre se refuse ou se