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se réserveraient une exécution, partielle au moins, de Rédemption et de Mors et Vita. Et si parfois le soir, ayant fermé derrière soi la porte de sa chambre, chacun de nous, j’entends chaque musicien en France, se prenait, ou se reprenait, à feuilleter les cahiers, trop rarement ouverts aujourd’hui, des « mélodies » du maître, nul ne refuserait d’ajouter aux honneurs publics que nous réclamons pour Gounod, l’hommage plus intime d’une tendre et fidèle piété.

Gounod, on peut en répondre maintenant, à distance, a été notre plus grand musicien dramatique au siècle dernier. En ce long espace de temps, et dans notre pays, je ne vois pas un ouvrage de théâtre à mettre au-dessus de ses deux chefs-d’œuvre.

Gounod, chez nous et pour nous, a été un créateur.

Il a disposé les sons dans un ordre que la musique française ignorait, suivant des lignes qu’elle n’avait pas tracées avant lui. Une phrase, une « idée » de Gounod, c’est d’abord un élément, les métaphysiciens diraient une « catégorie, » par lui révélée, de l’idéal sonore. C’est aussi l’expression ou le signe d’une sensibilité, d’un amour, dont notre musique, à ce degré du moins et jusqu’à cette profondeur, n’avait pas encore été pénétrée et attendrie. Et par le mot d’amour, c’est tous les amours qu’il faut entendre, ou plutôt c’est le sentiment unique, mais divers, mais infini, dont ce mot seul, et qui suffit, enveloppe, embrasse tous les mouvemens et tous les modes : amour sacré, amour profane, amours humaines et divines amours. Dieu fait pour ainsi dire entre les grands artistes le partage de notre âme et de notre vie. Parmi les musiciens, il en est que nous écoutons plus volontiers aux jours de joie, d’autres aux jours de peine. Aux jours de tendresse, c’est à Gounod que nous allons toujours.

Alors, demanderez-vous, comment irions-nous à lui dans les jours où nous sommes ? Mais ne reconnaissez-vous pas en la guerre actuelle, autant que l’ouvrière d’une haine sainte, inexpiable, contre nos ennemis, la dispensatrice pour nous, entre nous, du plus généreux, du plus fraternel amour ? A côté de l’horreur inouïe de cette guerre, en voilà l’éminente dignité, la beauté plus merveilleuse encore. Et voilà pourquoi le plus tendre de nos musiciens nous apparaît comme un musicien de l’heure présente, que la France d’aujourd’hui, la France où tout le monde s’aime, doit glorifier et chérir. En cette année de commémoration, que ceux-là mêmes qui naguère l’ont oublié, méconnu, lui reviennent. Qu’ils entendent l’appel ou le rappel délicieux de Marguerite : « Reste, reste encore… Et