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passait pour un pilote déjà expert, capable de faire des vrilles après trois mois à peine de pilotage. On se méfiait un peu de ce gamin qu’on n’osait pas blaguer à cause de ses yeux « dont le feu et l’esprit sortaient comme un torrent[1]. » On allait voir. Une légende s’est répandue sur le grand nombre de bois que Guynemer aurait cassés lors de ses débuts à son escadrille. Elle est radicalement fausse, et le carnet de vol la dément. Le débutant tient dès le premier jour ce que son apprentissage a promis. Après un ou deux vols d’essai, il part, le dimanche 13 juin, en reconnaissance au-dessus des lignes ennemies et rencontre chez eux trois avions allemands. Le 14, il décrit à son père ce qu’il a vu. Sa correspondance consent encore à la description. La terre le retient encore. Bientôt elle cessera de l’intéresser : « L’aspect de Tracy et Quennevières, explique-t-il, est invraisemblable : des ruines, un enchevêtrement inextricable de tranchées se touchant presque, le sol retourné par les obus dont on aperçoit les trous par milliers. On se demande comment il peut y avoir là un homme vivant. D’un bois il ne reste debout que quelques arbres, le reste est abattu par les marmites, et partout on voit la couleur jaune de la terre littéralement labourée. C’est incroyable comme à plus de 3 000 mètres on distingue bien tous ces détails. On voyait à 60 ou 70 kilomètres, et je n’ai jamais perdu Compiègne de vue. On distinguait Saint-Quentin, Péronne, etc. comme si on y était… »

Le lendemain 14, nouvelle reconnaissance. Itinéraire : Coucy, Laon, la Fère, Tergnier, Appilly, Vic-sur-Aisne. Ces deux premières expéditions se sont déroulées sans un coup de canon. Mais, dès le 15, cette apparente sécurité découvre la menace. Le 15, il est salué par les obus, et de tout près. C’est le baptême du feu, qui ne lui inspire que cette phrase à la du Guesclin : « Aucune impression, si ce n’est de curiosité satisfaite. »

Les jours suivans, il vit dans la tempête, et il rit. Le nouveau Roland, le chevalier téméraire et prodigieux, se révèle déjà tout entier dans les lettres qui vont suivre. Le 16, il part en ronde, portant à son bord, comme observateur, le lieutenant de Lavalette. Son appareil reçoit un éclat d’obus dans l’aile droite. Le 17, l’avion rentre avec huit blessures, deux à

  1. Saint-Simon.