Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/585

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’attention. Ledru-Rollin proposa le fils de son ami aux maîtres du jour. Lamartine l’agréa avec empressement : il pensa que cet enfant du Midi, si jeune et si éloquent, saurait mieux que tous calmer et apprivoiser ses compatriotes. Emile Ollivier fut envoyé à Marseille, en qualité de commissaire de la République, en même temps qu’Emmanuel Arago à Lyon. Tous deux avaient des pouvoirs indéfinis, c’est-à-dire illimités. Lorsque lui fut imposée une aussi terrible responsabilité, Emile Ollivier avait vingt-deux ans et demi.

Tandis que la chaise de poste pavoisée de drapeaux l’emportait vers Marseille, il méditait dans un coin sur ce qu’il aurait à dire et à faire vis-à-vis du monstre aux mille têtes. Son père, le fougueux révolutionnaire Démosthènes Ollivier, exubérant, agité, lui traçait un programme radical, socialiste, anticlérical, antiploutocrate, etc. ou bien descendait à chaque relais sur le marchepied, et haranguait les curieux qui se pressaient autour de la voiture. Les populations ne dissimulaient point leur effroi ; Démosthènes les rassurait. Il leur promettait la fraternité la plus tendre, l’égalité la plus absolue, la liberté la plus illimitée. Tant qu’on n’atteignit pas le département des Bouches-du-Rhône, Emile le laissa discourir, mais dès qu’apparurent les premières maisons de la ville d’Aix, le commissaire crut devoir faire acte de gouvernement. « Laisse-moi parler, » dit-il à son père. Démosthènes ébahi s’effaça. Comment cet enfant, qui n’avait jamais affronté la foule, allait-il s’en tirer ? Il s’en tira triomphalement. Il ne promit pas l’âge d’or, mais il demanda avec fermeté, avec passion, que les républicains fissent honneur à la République en se montrant amis de la justice, respectueux des droits et de la liberté de tous. Sa parole sincère, émue, étonna, toucha, exalta : bien des yeux, quand il se tut, étaient mouillés de larmes ; Démosthènes, heureux, ne cacha pas les siennes.

A Marseille, même scène. Une multitude innombrable s’entassait sur la Cannebière, malgré une pluie fine particulièrement déplaisante aux Méridionaux ; Emile Ollivier prêcha encore le devoir, la justice, le respect des lois et des vaincus et fut acclamé. La première bataille était gagnée : tous les cœurs populaires étaient à lui.

Il rentra dans la vieille préfecture où l’attendaient de vieux amis fidèles de Démosthènes, entre autres Lecourt, le premier