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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/587

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partis violens n’attendaient que soumission aveugle ! C’était bien la peine de lui avoir confié des pouvoirs illimités ! Au lieu de tout épurer, de tout fracasser, de tout renouveler, il venait chanter le devoir, la vertu, la concorde, et prétendait, avec de telles fadaises, servir la République ! La députation se retira en se promettant de châtier l’impertinent et en lui annonçant que le lendemain il aurait une émeute qui l’emporterait.

Lui, alla se coucher et dormit paisiblement. Le lendemain, comme il dormait encore, l’émeute vint en effet et envahit la cour de la Préfecture. Il s’habilla à la hâte, descendit au milieu des manifestons, et, cette fois, non plus avec cette fermeté froide qui les avait exaspérés, mais avec des objurgations pathétiques, il les conjura de ne point déshonorer les débuts de cette République qu’ils avaient appelée et de ne point préparer, par des saturnales sectaires, des réactions vengeresses. Le peuple vaut toujours mieux que ses meneurs : la foule, après l’avoir écouté, le porta en triomphe, et quelques jours après, aucune protestation ne s’éleva lorsque, dans un banquet populaire, sur la grande place de la Plaine, il fit asseoir à ses côtés Mgr de Mazenod.

La première proclamation du Commissaire fut un hymne de gratitude et de confiance : « Citoyens ! je venais, au nom du Gouvernement provisoire, vous convier à prendre votre part du mouvement régénérateur. Je voulais vous dire que Paris avait été sublime de patriotisme et de magnanimité. Mais je ne puis maintenant que vous exprimer l’émotion profonde qui m’a arraché des larmes, quand j’ai vu votre admirable tenue, votre dévouement à l’ordre public et à la République. Vous avez été dignes de votre grande cité et j’ai éprouvé un sentiment d’orgueil en songeant que je suis votre concitoyen, votre frère ! »

En effet, malgré le farouche Agénon, malgré les animosités sourdes qui fermentent toujours contre la sagesse et la droiture, le premier mois du jeune proconsul fut une lune de miel. Les gens posés lui savaient gré de se servir avec tant de prudence de sa toute-puissance si dangereuse à un âge où la folie se fait surtout écouter ; le peuple était enivré de sa parole, idolâtre de sa jeunesse, de sa bonne grâce, de sa simplicité, et aussi de sa vaillance tranquille lorsque, en présence de quelque bourrasque populaire, « toujours maître de lui-même, calme et patient au milieu des cris, son sang-froid finissait toujours par dominer