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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/589

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au-dessous de lui ces paroles d’un ouvrier : « S’il mourait, quel bel enterrement on lui ferait ! » C’était la leçon de l’esclave antique au triomphateur. Elle était bien superflue. Ces triomphes laissaient l’âme d’Emile Ollivier parfaitement paisible.

Ils ne le distrayaient pas de sa tâche d’administrateur. Il n’y montra pas ce que Faguet a appelé « le culte de l’incompétence et la peur des responsabilités. » Ses choix et ses entreprises furent aussi pratiques qu’intrépides. Dans la Commission municipale, il introduisit des ouvriers républicains intelligens et des bourgeois modérés, légitimistes ou orléanistes, d’une capacité indiscutable. Il donna une vive impulsion aux travaux, jusque-là traînans, du canal de la Durance ; du nivellement de la place de la Corderie, de la promenade du Prado, employant à ces besognes utiles les neuf mille ouvriers des ateliers nationaux qu’il avait organisés. Enfin, il facilita au Comptoir d’Escompte l’aide précieuse que cet établissement donnait au commerce. Tout cela se réalisait rapidement, paisiblement : « L’amour du bien public dont il était pénétré parut avec tant d’évidence dans tous ses actes et tous ses discours qu’il désarma les préventions et rendit facile un problème en apparence insoluble : l’établissement sans violence et sans ruse de la République chez le peuple le moins républicain du monde[1]. » Tandis qu’à Lyon Emmanuel Arago, en proie aux violences et au gâchis révolutionnaires, s’apprêtait à donner sa démission, à Marseille un ordre réel régnait, et les affaires se poursuivaient normalement. Mais le parti jacobin frémissait de voir ses espérances de perturbation si mal réalisées. Il trouvait insupportable ce commissaire, qui n’était ni sectaire ni proscripteur et qui ne cherchait à caser dans les emplois publics que les hommes dignes de les remplir, à quelque parti qu’ils appartinssent. N’allait-il pas, aux élections prochaines, patronner la candidature de Berryer, parce que c’était un grand talent et une grande intelligence ? Une dénonciation de tous ces crimes fut adressée à Ledru-Rollin.

Le tribun se crut obligé d’ordonner une enquête. Il la confia à un pur et lui donna le titre de commissaire général. Le quidam en fonctions ne voulut entendre que les délateurs, et il condamna Emile Ollivier sans même l’interroger. Il conclut

  1. Daniel Stern, Histoire de la Révolution de 1848.