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immédiatement la liberté à l’Émir, courut aussitôt le voir. Il l’assure qu’il peut compter sur la loyauté du gouvernement nouveau et promet tout son concours à cette œuvre de réparation. Sur son conseil, Abd-el-Kader renouvelle, dans une lettre aux chefs de l’Etat, le serment fait au fils du Roi de ne plus combattre nos armes. Cette lettre fut envoyée à Emile Ollivier, accompagnée d’une autre touchante et haute adressée au préfet : « Salut à celui que Dieu a doué d’un esprit parfait et de connaissances approfondies. Dieu donne à qui lui plaît la sagesse et le don de la parole semblable au glaive le plus tranchant. L’homme doué de cette faveur et choisi par Dieu lui est agréable, n’importe son âge. Je me suis vivement réjoui d’avoir fait votre connaissance, car vous êtes un homme d’un esprit profond et d’une intelligence et d’une sagesse rares. — Vous êtes un de ceux qui deviez être choisi pour être un des yeux de la République, afin de voir par vous et distinguer le vrai du faux et le bien du mal. — Il est d’habitude aux Français de ne point manquer à leur parole, pas plus que de tromper ou de trahir. — Je n’ai pas pu m’expliquer pour quelle raison ils ont fait défaut à leur caractère. — Ils m’ont négligé et ne veulent point suivre à mon égard leur sentiment naturel. Aujourd’hui, s’il plaît à Dieu, je trouverai justice et raison, puisque l’état des choses survenu doit être heureux pour tout le monde. — Je désire bien ardemment que votre parole en ma faveur soit accueillie par le gouvernement républicain. Salut. » (15 mars 1848).

La requête et le serment commentés par une longue dépêche du commissaire furent aussitôt transmis à Dupont de l’Eure, président du Gouvernement provisoire. « Délégué dans le Var, disait la dépêche, j’ai cru que mon premier devoir était de faire ce qui était dans vos cœurs. — Après le beau manifeste qui a étonné l’Europe, ce serait faire un acte glorieux que d’exécuter une parole donnée par le fils d’un roi et trahie par la royauté. Il s’agit de notre bien le plus précieux, de notre honneur. — La France est assez puissante pour ne pas redouter un tel ennemi. — Elle ne lésera jamais assez pour affronter la malédiction qui s’élèvera chaque jour du tombeau de notre ennemi trompé. Lorsque Napoléon alla s’asseoir au foyer britannique, l’intérêt de l’Angleterre à le tuer hypocritement était immense, évident : y a-t-il cependant une âme honnête qui n’ait protesté ? Aujourd’hui le danger que peut nous occasionner la mise en