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cessé que pour introduire une persécution nouvelle ; tout enfin marche de telle sorte que la conquête récente vient se perdre dans ses propres excès ou dans une réaction irrésistible. Non, pas de violence ! Je préfère, me confiant à la justice éternelle, attendre d’elle, comme une nécessité fatale, l’avènement des idées mûries, la réalisation des réformes légitimes. » Il précise ses idées religieuses : « Ainsi que toi, j’ai souvent désiré la foi catholique. Au moins, trouve-t-on en elle, me disais-je, le calme, un port. Mon esprit et mon cœur n’ont jamais pu s’y plier. Si un jour, ce dont je doute, une conviction forte s’emparait de moi et me ramenait aux dogmes de l’Eglise, je viendrais me retirer dans une maison telle que celle d’où je t’écris. Pas de milieu : l’avenir et sa recherche inquiète, haletante, au travers des réalités de la vie ; — ou le catholicisme et son abandon sans réserve du monde, l’aspiration ardente, perpétuelle vers Dieu et la vie future. »

Il ne se sépare des moines qu’avec une tendre gratitude : « 16 juillet. — Je quitte la Trappe. En y arrivant, je n’avais d’autre sentiment que la curiosité ; j’en sors ému, pénétré. O sainte maison, pieux asile, reçois mes remerciemens de l’austère tranquillité que j’ai trouvée en tes murs paisibles ! Depuis longtemps je ne m’étais mis si complètement en présence de moi-même. Je puis maintenant affronter sans crainte les débats où se décidera mon honneur ; je puis les aborder avec le calme, l’impartialité et la sagesse qu’exigera cet acte grave entre tous. Je suis assuré de ne pas faillir à ma conscience. J’embrasse avec effusion le Père abbé et le frère hôtelier et je me mets en route. »

« J’espérais, écrit-il à Dolques (18 juillet), déposer immédiatement et retrouver ma liberté, lorsque le président m’a annoncé que je ne pourrais déposer que vers le 20 ou le 25. J’ai profité de ce délai pour aller à la Trappe d’Aiguebelle. Je viens d’y passer quelques jours admirables de paix avec Masnou et Guiter. Sous ces cloîtres tranquilles, en compagnie des bons religieux qui nous ont accueillis d’une façon paternelle, nous avons élevé nos cœurs au-dessus des petites passions qui bourdonnent à Valence. J’ai trouvé là les seuls momens de repos véritable qu’il m’ait été permis de goûter depuis un an. J’ai surtout acquis le calme et l’impassible sang-froid dont j’avais besoin pour remuer les cendres encore fumantes d’un passé