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France, en Flandre et en Angleterre, » disait son auteur quatorze ans après la publication du livre ; et elle a été réimprimée plus de quarante fois, en divers lieux, en langue française. » On en fit tout de suite des versions anglaises, qu’un instant l’Eglise anglicane répandit ; il en circula des versions manuscrites en dialecte irlandais, pour le troupeau persécuté des catholiques d’Irlande. Jusqu’en grec et jusqu’en arménien, jusqu’en chinois et jusqu’en mexicain, l’Introduction fut traduite. Lorsque, au milieu du XVIIe siècle, le marquis de Lublin fut envoyé à la cour de Vienne par le duc de Savoie, il observa que tous les princes, seigneurs et dames avaient continuellement entre les mains une édition allemande de l’Introduction ; et c’est en toute vérité que Bourdaloue put bientôt dire : « Une des marques les plus évidentes de l’excellence de ce livre, c’est que, dans le christianisme, il soit devenu si commun. » Le Traité de l’amour de Dieu, moins populaire assurément, fut traduit à plusieurs reprises en allemand, en français, en italien ; et la renommée qui tout de suite lui fut acquise en Europe nous est attestée par ces seigneurs allemands qui disaient à l’un des domestiques de saint François de Sales : « En notre pays, on parle de M. de Genève comme d’un saint Jérôme, d’un saint Ambroise et d’un saint Augustin. » Pie IX, en 4877, en le faisant docteur, l’éleva au rang de Jérôme, d’Ambroise et d’Augustin : la voix de la chrétienté avait précédé celle du Pape, et l’une et l’autre glorifiaient une œuvre littéraire qui fait honneur à notre langue.

D’être devenu « commun dans le christianisme, » c’est une « marque d’excellence : » revenons un peu sur ce mot de Bourdaloue. L’Eglise voudrait que ce qu’elle croit « devînt commun » à tous les hommes, que son catéchisme, si j’ose ainsi dire, devînt sous toutes les latitudes un « lieu commun, » où collectivement toutes les pensées trouveraient une atmosphère et toutes les âmes une paix. Et, d’autre part, il est un peuple dont c’est proprement le génie, de rendre « communes » les idées qu’il élabore ou qu’il transmet, de leur assurer l’universalité par la clarté même dont il les inonde : ce peuple, c’est le nôtre. L’honneur qu’ont fait à notre langue les diplomaties du monde entier témoigne de ce que volontiers nous appellerions, en prenant le mot dans son sens étymologique, le caractère catholique de notre langue et du génie qui s’y exprime.