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selle se lance à trouver ennuyeux, mais qui n’ennuyaient pas du tout la société de cette époque et ni Mme de Sévigné, ni Mme de La Fayette. Les romans de Judith Gautier, comme la plupart de nos romans d’aventures, et voire exotiques, sont ainsi rattachés à une longue tradition de notre littérature.

Le sentiment qui relègue l’imagination de Judith Gautier dans les temps et les pays lointains est le même qui fait exiger, aux écrivains du grand siècle, cet éloignenient dont parle Racine. D’abord, il s’agit d’éviter la vulgarité des nouvelles civilisations ; d’éviter, en second lieu, les mesquins empêchements que l’on rencontre dans la réalité prochaine : la plus heureuse fantaisie est mieux à l’aise parmi les circonstances qui échappent au contrôle d’un chacun. A beau mentir qui vient de loin : le divin mensonge de l’art utilise un alibi précieux.

Il faut avouer cependant que, si l’exotisme ij’est pas une trouvaille récente de nos conteurs et de nos poètes, les conditions de l’exotisme se sont modifiées durant le siècle dernier par le travail des érudits. Les civilisations les plus anciennes, que les orientalistes ont examinées, ont révélées avec minutie, n’échappent plus à notre connaissance. Leur mystère s’évanouit et ainsi elles n’offrent plus aux conteurs et aux poètes les commodités qu’elles procuraient à La Calprenède ou à ses émules. Mais aussi les découvertes des savans ont multiplié les ressources magnifiques. Judith Gautier eut le talent de ne point s’égarer dans ce très ample trésor, d’y prendre ce qu’il lui fallait, de ne s’en point encombrer, d’agir avec prudence et avec désinvolture, et d’observer l’indispensable vérité sans renoncer aux libertés les plus charmantes. Elle qui ne voulait pas soumettre la poésie à la philosophie, aurait-elle soumis son art aux opiniâtres labeurs de l’archéologie ? Elle a préféré l’art à tout le reste et conséquemment prétendit que l’ait profitât de tout l’univers et de toute l’histoire et de tout l’effort auquel se consacre la science afin de connaître mieux l’histoire et l’univers. Elle a recueilli pour son art les tributs que la science lui présentait ; et elle les a réclamés : elle n’aurait pas admis, d’autre part, qu’il devînt l’esclave de ses riches vassaux. Sa plus parfaite réussite est, je crois, son roman d’Iskender où, avec un entrain de poète épique, elle raconte l’histoire d’Alexandre selon les légendes persanes, transpose Quinte-Curce au gré de Ferdouci et, le Schah Nameh lui-même, le transpose au gré du goût français, friand de luxe délicat.

Puis, après avoir très longtemps parcouru les pays étranges et les siècles abolis, après avoir demeuré en esprit dans l’Inde, la Perse, la