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de la métaphysique… Je vous laisse à penser si l’affaire fit du bruit. Cousin entra dans une colère sans pareille… Il jura qu’il n’écrirait plus dans la Revue. » Après quoi, j’imagine qu’il s’apaisa, car il écrivit encore dans la Revue… J’aime cette anecdote ; elle dépeint à merveille l’homme qu’était F. Buloz, bien décidé à rester le maître chez lui. Cette indépendance a permis qu’il ne fût l’homme d’aucune coterie, d’aucun gouvernement. De cœur, il était libéral… mais il imprima Veuillot !

Rien ne comptait pour lui, en dehors de sa Revue ; la composition de ses numéros était sa pensée constante ; il s’occupait de tout lui-même, des abonnemens, de l’extension à l’étranger, de la contrefaçon littéraire, qu’il a combattue dix ans ; et, à côté de ces questions vitales, il s’inquiète aussi de la « netteté de l’impression, de la ponctuation, de la disposition d’un titre, de mille détails qui semblent n’être rien, et qui font une exécution supérieure[1]. »

Il entretient avec les diplomates des plus lointaines ambassades une active correspondance, qui lui procure des informations politiques de premier ordre. A Turin, à Rome, à Vienne ou à Londres, à Stockholm et à Madrid, il a des correspondans partout. Les collaborateurs qui voyagent, chargés de missions officielles, comme Lœwe-Weimars, Marmier, de Molènes, A. Thomas, Jurien de la Gravière, sont mis aussi par lui à contribution, et lui envoient, sur ses pressantes demandes, d’intéressantes informations pour la Revue, et, plus tard, pour l’Annuaire de la Revue.

Il eut des associés, mais il resta toujours seul maître, car il n’aurait jamais supporté une autre influence, si discrète fût-elle, à côté de la sienne : il régna donc seul, et je pense qu’il était de l’avis d’Homère, — du moins en ce qui concernait la Revue : Le gouvernement de plusieurs n’est pas bon, il n’y a qu’un maître. « Pendant dix-neuf ans, dit Maxime du Camp, il combattit pied à pied, gagnant chaque jour un peu de terrain, se désespérant quelquefois, ne désespérant jamais, déployant une patience indomptable, et finissant par triompher des obstacles devant lesquels tout autre aurait reculé. »

François Buloz écrivait à Edgar Quinet : « J’ai une vie de galérien. Je travaille dix-huit heures par jour : » et, en se

  1. M. du Camp, Mémoires.