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« Il est triste de parler pour ceux qui ne savent pas entendre, et d’écrire pour ceux qui ne savent pas lire.

« Agréez l’assurance de ma haute considération.

« COMTE ALFRED DE VIGNY. »


La mode des albums destinés à recueillir les pensées et poésies des hommes de lettres sévissait déjà en 1836. Mme F. Buloz, jeune mariée de six mois, avait, elle aussi, son album : il est sous mes yeux. Habillé de maroquin capucin (le chiffre d’or de la jeune femme : C. B… relève seul la sévérité de cette reliure « janséniste »), ce précieux volume, qui contient maintes poésies, signées de noms illustres : Lamartine, Henri Heine, Antoni Deschamps, G. Sand, A. Dumas, Brizeux, Jasmin, fut aussi entre les mains de l’auteur de Stello. F. Buloz le lui porta un matin, et réclama la collaboration du poète.

Voici la lettre que celui-ci écrivit à F. Buloz quelques jours après :

« Ne doutez pas du regret que j’ai eu de ne pas me trouver chez moi l’autre jour, ni de mon empressement à être agréable à Mme Buloz. J’ai mis quelques vers sur son album, mais je ne vous les envoie point, afin que vous veniez les chercher, s’il vous plait que nous causions pour bien des choses qui nous occupent. Je ne sortirai avant une heure et demie, ni demain, ni samedi, ni lundi.

« Agréez mes complimens, et présentez mes respects à Mme Buloz, je vous en prie.

« ALFRED DE VIGNY[1]… »


Le sonnet que le poète inscrivit sur l’album de Mme Buloz fait allusion à l’exécution de Pépin, Moray et Fieschi, les régicides, qui venaient d’être guillotinés. Ce sonnet, qui est d’un romantisme extrême, et pourrait être illustré par Célestin Nanteuil ou May, figure dans l’édition définitive du Journal d’un Poète, aux Fantaisies oubliées, sous ce titre : « L’esprit parisien. » — Il a été écrit pour le bal de la mi-carême, au bénéfice des pauvres, en mars 1836 :

  1. A. de Vigny à F. Buloz, 7 avril 1836, inédite.