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percutans avaient déchiqueté le bois triangulaire, dont l’écran d’arbres maigres couvrait les abords immédiats de la ville ; l’hiver avait achevé de l’ajourer et des balles perdues y sifflaient à tous momens. Elles ne nous firent cette fois aucun mal. Notre mouvement n’avait pas été éventé et quelques salves seulement s’écrasaient par intervalles sur Nieuport, qui n’était pas encore le cadavre de ville qu’elle est devenue : si ses petites maisons hispano-flamandes n’avaient plus de toits ni de planchers, la plupart avaient encore des façades. Mais nulle lumière n’y veillait. La vie s’y était terrée. Dans une des caves aménagées pour la garnison, le colonel Hennocque attendait nos officiers. Il leur distribua ses ordres, les leur commenta brièvement. Mais déjà un premier accroc venait d’arriver au programme : les canonnières, qui devaient remonter l’Yser en même temps que la 1re compagnie, étaient arrêtées à Furnes par une avarie de machines. On décida de se passer d’elles, et les compagnies de marins, par la rue Longue, se mirent en route pour les Cinq-Ponts, où se réunissent les six branches de l’éventail que dessine l’Yser au-dessus de la ville. La branche principale pointe droit dans le Sud jusqu’à une cinquantaine de mètres du pont de l’Union où elle fait un coude vers l’Ouest. Saint Georges est dans ce coude, entre l’Yser et le canal de Noord-Vaast, sur la route de Nieuport à Mannekenseere. Un chemin de halage suit le fleuve et, par une levée de terre qui s’y articule près de la Maison du Passeur, peut conduire obliquement au village. Mais c’est une piste plus qu’un chemin et, pour une troupe un peu compacte, le village n’est vraiment abordable que par la chaussée, dès lors que l’inondation interdit de prendre par les champs.

En tout temps, l’hiver, le suintement des eaux souterraines, le débordement des petits canaux d’irrigation qui les coupent en tous sens, jettent sur ces plaines basses de grandes flaques d’eau dormante. Mais, depuis que le génie belge avait fermé les vannes du Beverdyck, l’immense paysage mouillé de naguère s’était transformé en un grand lac d’un seul tenant dont les eaux venaient mordre le pied des levées qui le quadrillaient et qui étaient les seules parties solides du paysage. Les deux adversaires, également obligés de se terrer, avaient dû utiliser le remblai des digues, les accotemens des routes et des voies ferrées. Plus loin, sur le littoral, ils avaient la