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en masse de l’aviation française sur l’Aisne. Il avait pris ses mesures pour y parer. Un ordre de la VIIe armée prescrit que toutes les formations aériennes doivent être alertées dès que l’approche d’un grand nombre d’avions français est signalée : les appareils rejoignent sans délai leur parc en évitant tout contact inégal, les ballons sont abaissés à une faible hauteur ou même tirés à terre. Puis, le commandant de l’armée donne au contraire l’ordre d’offensive et fixe l’heure de départ ; à l’heure dite, tous les appareils disponibles se rassemblent à faible hauteur, en deux grandes masses au-dessus de régions déterminées à l’avance, les escadrilles de chasse volant au-dessus des autres appareils. Ces deux masses se portent ensuite à l’attaque en gagnant de la hauteur. L’ennemi doit être atteint au-dessus des lignes, assailli avec la dernière énergie et poursuivi, jusqu’au moment où l’on arrive dans la zone de feu des batteries antiaériennes françaises.

On le voit, l’esprit offensif de l’aviation allemande ne l’amène pas jusqu’à chercher ou accepter le combat au-dessus de nos lignes. Mais elle tend de plus en plus à grouper le nombre de ses escadrilles et à les masser. Si nos progrès dans les airs ont précédé et orienté ceux de notre ennemi, celui-ci a su appliquer sa méthode organisatrice à nous rattraper. Nous avions, nous-mêmes, perfectionné avec le plus grand soin notre matériel, nos écoles de pilotage, notre instruction. Le Spad que nous avions inauguré sur la Somme assurait sur l’Aisne à nos chasseurs un outil de premier ordre dont la robustesse, la vitesse horizontale et ascensionnelle, la maniabilité, leur permettaient de se mesurer avec avantage contre le meilleur Albatros. Une bataille moderne est ainsi précédée d’une formidable rivalité des usines, de la fabrication, des transports. De cette préparation qui réclame des jours, des semaines et des mois, le commandement va faire une effrayante machine vivante.

La personne humaine n’y est perdue qu’en apparence. Sans doute une bataille est-elle une œuvre collective à quoi chacun apporte sa contribution, du chef suprême au casseur de cailloux sur les routes. Mais dans cette colossale entreprise, dans cette débauche de matériel, dans cet agencement mécanique dont tous les rouages semblent réglés à l’avance, c’est encore ce pauvre petit homme de chair qui marque l’avance ou l’arrêt. Le servant d’une mitrailleuse, les défenseurs d’une tranchée ou