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fer, le danger lui arrache des étincelles, — des étincelles de génie.

Car ses plus audacieuses entreprises ont été méditées et réfléchies. Il réalise avec une témérité folle des coups préparés. Dans la lutte, les idées crépitent en lui et rejoignent la vitesse et la sûreté de l’instinct : mais à l’origine se retrouve toujours l’élément spirituel.

Il est déjà bien tard pour lui parler de cette fameuse journée du 25 mai. Non qu’il répugne le moins du monde à raconter ses chasses. Il les détaille, au contraire, comme des coups heureux au poker, avec le même amusement et les mêmes airs initiés. Il n’a pas l’ombre d’affectation, pas l’ombre de pose : une simplicité et une fierté d’enfant. C’est la troisième aventure qui lui a laissé le meilleur souvenir. Il revenait pour déjeuner : l’audacieux survolait le camp et s’était mis dans le soleil, Guynemer l’a tiré de dessous : une balle, la mort, la chute.

Et sur ce récit bref, éludé, qui lui arrache un rire frais, un rire de jeune fille, les yeux de Guynemer se ferment. Il a sommeil, comme à Compiègne au retour de sa première chasse après Verdun. Il est sorti deux fois déjà, il veut nettoyer l’espace une troisième. Auparavant, il convient qu’il se repose.


… Quel mouvement sur le champ d’aviation ! Il est six heures et demie du soir : le temps est radieux, pas un nuage au ciel. Peut-on tenir pour nuages ces tout petits flocons blancs, à peine visibles, qui font des taches claires dans le bleu ? Mais ces taches se multiplient. Une patrouille ennemie a pu franchir les lignes et venir au-dessus de nous. On compte deux, trois, quatre avions que les éclatemens de nos obus encadrent. Voici les nôtres : un, deux, trois Spads qui accourent à grande allure. L’ennemi va-t-il accepter la bataille ?

Tandis que nous fouillons l’espace avec nos yeux ou nos jumelles, surgit Guynemer à côté de nous. Il a été réveillé, il accourt, d’avance il vole. Deux de ses camarades, le capitaine Auger, le lieutenant Raymond, bondissent comme lui sur leur appareil. Guynemer se laisse habiller. Il n’a qu’une idée, il ne voit qu’un point dans le vaste ciel. Ses yeux enflammés fixent ce point comme s’ils pouvaient tirer sur lui. Car il n’y a plus qu’un point essentiel en effet. Trois des avions allemands