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matérielle, il semble s’irriter de n’avoir point forgé ses armes lui-même, fabriqué lui-même son moteur, ses ailes, sa Vickers et ses balles.

Enfin il consent à se séparer de sa monture. Il quitte son lourd vêtement de guerre. Le centaure des airs redevient un homme, et un grand jeune homme leste qui va s’élancer vers le baraquement le plus proche et disparaitre sans avoir remarqué cette foule qui le boit des yeux et dont un incident va lui révéler la présence. Un soldat s’est mis en travers de son chemin et braque sur lui un petit appareil photographique.

— Vous permettez, mon capitaine ?

— Faites vite.

Il a accepté de mauvaise humeur. Il s’est arrêté et voit enfin toutes ces têtes de bonnes femmes en extase. Il a un geste découragé. Le front s’est barré, l’attitude s’est figée, le portrait ne sera pas bon.

Que tous ses portraits lui ressemblent peu ! Qu’il soit assez grand, mince, maigre, presque imberbe, l’ovale allongé, le profil régulier, le teint ambré, les cheveux très noirs rejetés en arrière, tous ces traits donnent-ils une idée de la force qui est en lui ? Les yeux, les yeux bruns aux points d’or, le révèlent davantage. Il leur doit la surveillance de l’espace et la promptitude de la décision née du coup d’œil. Ils sont sa garde et sa puissance d’attaque. Leur regard est direct et brutal qu’il se sent pour ainsi dire physiquement. Puis, il devient si vite rieur et presque gamin ! Leur flamme court sur les objets qui l’intéressent, problèmes de vitesse, problèmes de manœuvres, problèmes de tir, les entoure, les fixe, les embrase.

Rien chez Guynemer de la puissante carrure d’un Navarre dont la tête au profil accusé et la large poitrine font un dessin d’aigle au repos, abaissant le bec sur la gorge renflée, ou d’un Nungesser avant les blessures — héroïque Nungesser au corps dévasté qui a rejeté la réforme et voulu ajouter à ses trente victoires celle qu’il a remportée sur la douleur et la gêne physique. Rien de leur instinct, de leur intuition. Une forte culture scientifique l’avait préparé aux études de mécanique. Mais il apportait dans la science du vol une ardeur tout amoureuse. Il y a dans ses recherches de la frénésie volontaire, dans sa méthode une violence logique. Tout, en lui, est force nerveuse et, pour ainsi dire, électrique. Comme la foudre au