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place du Sénat, totalement subjuguées par la promesse qui leur est faite de leur accorder trois jours de pillage. On leur distribue des cartouches ; les officiers qui tentent de s’opposer à ce mouvement séditieux sont massacres ou grièvement blessés.

Non loin de là, aux abords du Palais d’Hiver, l’Empereur avait harangué la foule et venait de lui lire son manifeste d’avènement : docile à ses exhortations, elle s’était dispersée, privant ainsi les conspirateurs d’un concours précieux. En apprenant ce qui se passe sur la place du Sénat, l’Empereur y court ; il fait appel au patriotisme, à l’esprit de discipline, adjure les soldats de rentrer dans le devoir. Mais il n’est pas écouté ; la mutinerie s’aggrave, les troupes restent sourdes, deviennent menaçantes sous l’action d’une poignée de meneurs, qui les a hypnotisées. Le courage et le sang froid de ce jeune Empereur, qui sont au-dessus du péril qu’il court, son altitude superbe, l’éloquence de sa parole, le dévouement de son frère le grand-duc Michel, qui ne le quitte pas, la présence à l’une des fenêtres du palais des deux impératrices, qui suivent d’un regard angoissé cette scène où Nicolas exposé ses jours, contribuent à la rendre pathétique. Quant à lui, loin de céder, et avant d’appeler les troupes restées fidèles, il tente un dernier effort, secondé par Miloradowitch, le gouverneur militaire de la capitale, et par le métropolite de Pétersbourg qui est accouru revêtu de ses ornemens sacerdotaux. Mais, dès leurs premières paroles, leur voix est couverte par les clameurs des insurgés, retranchés derrière des barricades improvisées ; la fusillade éclate ; le vieux général tombe mortellement atteint d’un coup de pistolet, et la mitre de l’archevêque est percée d’une grêle de balles. Nicolas, irrité jusqu’à l’exaspération, n’hésite plus ; par ses ordres, des canons sont amenés et la mitraille pleut sur cette troupe mutinée, plus à plaindre que réellement coupable, car elle a été abominablement trompée par les instigateurs du soulèvement. En quelques minutes, elle est mise hors de combat ; elle se disperse, veut s’enfuir. Mais des prisonniers restent par centaines aux mains du vainqueur, et parmi eux les principaux chefs du complot. Ceux qui parviennent à s’échapper viendront se rendre à discrétion dans la soirée et dans la nuit, après avoir tenté vainement de sortir de la capitale.

Ainsi se réalisait la prédiction du prince Troubetzkoï : l’insurrection était anéantie avant que les complices sur qui elle