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dans ce prodigieux monolithe percé en caverne pour dix mille hommes, avec ses magasins, ses machines, ses bureaux, immense caravansérail où a passé à peu près toute l’armée française, et qui combine dans ses ombres et ses entrailles de labyrinthe les caractères d’une usine, d’un arsenal, d’un ministère et d’un hôtel.

Mais le principal attrait de ce surprenant décor, c’est la surprise toujours fraîche des personnages qu’on y croise : la presse, les hommes d’état des deux mondes, les potentats de la finance et des affaires, des souverains, des reines, toutes les grandeurs de la terre venues là pour prendre la mesure de cette grandeur nouvelle, rendre hommage à cette majesté. Au reste, ce n’est plus le Verdun de la belle époque, le Verdun en danger et en alerte continue, le Verdun de l’année sublime. Mais qu’il survienne, comme ce soir, un passage de troupes, qu’une relève jette dans les dortoirs des bataillons montant au boulot ou redescendant des tranchées, et vous aurez encore un spectacle qui en vaut la peine. Qui aurait eu le privilège d’être condamné à la prison dans l’enceinte de la citadelle, depuis les jours tragiques de février 1916, pourrait se vanter d’une bonne fortune que lui envieraient l’histoire et le roman de l’avenir ; il saurait sur la guerre ce que nul n’en saura jamais, ce qui ne sera fixé dans les lignes d’aucun Mémoire et d’aucune chose écrite : il aurait eu, toute vive et frémissante encore, dans la voix des héros, dans les interminables récits des tables animées de chaleur et de vins, la naissante légende des batailles, l’épopée à peine démêlée de la fumée du combat, la gloire se racontant elle-même, encore mal réveillée de l’action de la veille et croyant rêver son histoire.

Que de souvenirs, que de récits n’ont jamais dépassé le seuil de la citadelle, évanouis, oubliés sitôt franchie la grille de la porte Vauban ! Qui sait ce qu’ont entendu ces murailles et ces voûtes ? Vous avez passé là entre deux de vos victoires, immortels « brigands de Mangin, » — poilus de Fleury et de Thiaumont ! Et vous, les plus grands des vainqueurs, désensorceleurs de Douaumont, — gars de Salins et de Passaga, marsouins de Nicolat, tirailleurs de Régnier, zouaves de Richaud, de Prouzergue et de Clermont-Tonnerre, chasseurs de Raoult et de Montalègre, lignards de Parlhouneaux, de Steinmetz et de Gail ! Et ces noirs retours exténués dans