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IV

Lisez maintenant son livre posthume et testamentaire, Le Japon, compose des conférences qu’il destinait à l’Université de Cornell ; et songez à ses lettres intimes : tout le tragique intérieur de son existence vous apparaîtra, il ne conviendra jamais qu’il a embelli l’ancienne civilisation japonaise, lui qui avoue à ses correspondans qu’il ne peut même plus supporter la vue de ses premiers ouvrages. Il demeure le prisonnier du songe qui lui valut la gloire. Et pourtant il ne saurait absolument se taire sur ses désenchantemens. Mais que de peine il se donne, et que de petites erreurs il commet pour en attribuer la cause à des influences étrangères ! De quelles précautions, dans « l’horrible Tokyo » où il écrit et où chaque jour la vie meurtrit son rêve, il entoure ses critiques ou plutôt ses craintes de l’avenir ! Avec quelle éloquence il conjure ce Japon, qui lui est maintenant si dur, de résister au péril blanc dont le menacent aussi bien « la redoutable amitié de l’Angleterre que la terrible inimitié de la Russie, » aussi bien la civilisation industrielle de l’Amérique que les religions de l’Europe ! Il invoque le témoignage de son cher et vénéré Spencer ; il supplie le gouvernement de s’opposer autant que possible aux unions entre Européens et Japonaises et de continuer à exclure les fils d’étrangers, même naturalisés, des hauts postes de la bureaucratie, de l’armée et de la marine ! Il dénonce l’effrayant danger qui menacerait le Japon, le jour où les politiciens autoriseraient ces étrangers à posséder des terres. Et je ne dis pas qu’il ait tort ! Je ne dis pas que son livre ne soit plein de remarques justes et profondes. Nul mieux que lui n’a mis en évidence la contradiction du vieil état social où la liberté individuelle n’existait pas et de la nouvelle civilisation industrielle où elle devient une nécessité, « Le Japon, malgré des inégalités énormes, écrit-il, devra lutter contre des sociétés plus plastiques et plus puissantes, mais il lui faudra lutter aussi et beaucoup plus, contre la puissance de son passé fantomatique. » Mais alors, pourquoi s’est-il appliqué à rendre ce passé encore plus prestigieux et à en exagérer la beauté ? D’ailleurs, jusqu’ici, les événemens n’ont point confirmé son pessimisme. Et, d’un bout à l’autre de ce livre, revient la note