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Mais aussi que de choses commencent en eux et par eux, qui nous sont infiniment précieuses, je veux dire l’esprit de tolérance, le sentiment profond des droits de la personne, l’instinct de la liberté humaine ! » Au lieu de s’anéantir dans la tourmente, le génie français y a pris des forces nouvelles, pour de nouvelles destinées : il continue sa durée glorieuse et bienfaisante. Mais évitons le risque de telles tribulations. M. France conjure les écrivains de n’être pas novateurs ; s’ils le sont malgré eux, on leur pardonnera : veuillent-ils surtout l’être « le moins possible ! » Le critique de la Vie littéraire est pieusement conservateur : il sait le prix adorable de la merveille à conserver.

M. France souhaite aussi que la critique littéraire, afin de mieux remplir son rôle, n’oublie pas qu’elle est de la littérature et doit posséder les agréables vertus d’un art si charmant. Il la veut aimable et destinée au plaisir du lecteur. Il cite volontiers et il approuve une objection de Henry Laujol à Flaubert : « Son malheur vint de ce qu’il s’obstinait à voir dans la littérature, non la meilleure servante de l’homme, mais on ne sait quel cruel Moloch, avide d’holocaustes. » La littérature ne doit pas être ce Moloch ; et la critique littéraire ne doit pas être ce Moloch. Il la veut amicalement unie à la littérature, et non pas un tribunal où comparaît la littérature, mais une compagne indulgente et sage, dont les avertissemens sont écoutés, les exemples suivis, et l’une des muses entre la poésie, l’histoire et la philosophie ou, si le mot vous effraye, la méditation. L’une des muses, et fille de l’imagination comme les autres muses. Il l’appelle « une espèce de roman à l’usage des esprits avisés et curieux. » Il a écrit : « Je la tiens pour le signe honorable d’une société docte, tolérante et polie ; je la tiens pour un des plus nobles rameaux dont se décore, dans l’arrière-saison, l’arbre chenu des lettre^. » Il l’a honorée ainsi, avec un zèle gracieux, et avec cette gaieté pensive qui est le tour qu’il donne le plus volontiers au génie latin florissant chez nous, et avec ce perpétuel bonheur delà perfection qui lui est aisée et comme naturelle dans l’arrangement, qu’on dirait fortuit, des syllabes et des idées.


ANDRE BEAUNIER.