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Saint-Pétersbourg, afin d’y porter des renseignemens sur l’affaire qui agitait toute l’Europe. Elle donna lieu à des pourparlers qui se prolongèrent durant plusieurs semaines et à la suite desquels Orloff fut autorisé à reprendre possession de son poste. Les bons rapports se trouvèrent ainsi rétablis, mais la crise, quoique passagère, avait engendré des ressentimens qui ne s’effacèrent que peu à peu dans l’esprit de l’Empereur. Ainsi s’explique la continuité des contradictions que nous avons déjà signalées dans son attitude et qui déconcertent quelque peu l’historien lorsqu’il en recherche les mobiles.

Un jour, c’est à la France qu’il en veut, car il croit qu’elle est disposée à s’allier aux gouvernemens qu’il considère comme ses ennemis ; le lendemain, c’est à l’Allemagne, dont il voit l’influence s’exercer autour de lui avec plus d’efficacité qu’il ne voudrait. Il s’offense de l’échec qu’inflige l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg au professeur russe Mendelereff, qui avait tenté de s’y faire élire. Cette Académie est composée surtout de savans allemands et c’est eux qui font échouer la candidature du professeur en mettant dans l’urne électorale plus de boules noires qu’il n’y avait de boules blanches. Les universités de province protestent contre les votes de ces prophètes du mal en élisant des candidats nationaux. L’Empereur n’en est pas moins affecté par le traitement qu’a subi Mendelereff.

Au même instant, la situation économique de l’Empire s’aggrave par suite d’une crise qui pèse particulièrement sur la classe agricole. Dans certaines contrées, la disette sévit dès l’automne de 1880 et, l’hiver venu, elle prend les proportions d’un fléau auquel il est difficile de remédier. A Saralof, province du Volga, les privations que doivent s’imposer les habitans sont effroyables ; des paysans parcourent la ville en demandant du pain. La difficulté des communications entrave les mesures prises pour améliorer le sort des classes pauvres ; envois de blé, distributions de vivres à prix réduit, création de jours publics. L’hiver est terrible, le Volga est gelé, la débâcle ne permet ni navigation, ni traînage ; les glaces à plusieurs reprises coulent des navires chargés de grain.

L’empereur Alexandre, si cruellement éprouvé par les malheurs publics, et surtout par les forfaits du nihilisme, est en cette même année frappé d’un malheur privé qu’il achève de le démoraliser. Au mois de juin, l’Impératrice succombe à la