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maladie qui l’obligeait à résider dans le midi de la France. Averti qu’elle était en danger de mort, son mari s’est mis en route aussitôt pour recevoir son dernier soupir, mais quand il est arrivé à Cannes, elle avait cessé de vivre. Outre que ce trépas lui rappelle la perte qu’il a faite de son fils aîné dans les mêmes conditions et dans le même pays quatorze ans avant, perte dont il ne s’est jamais consolé, c’est avec un véritable déchirement de cœur qu’il voit disparaître la compagne dont, en de fréquentes circonstances, le tendre et inlassable dévouement avait été pour lui un réconfort précieux et salutaire.

Depuis longtemps par suite de l’âge et de l’état de santé de cette noble femme, elle n’était plus pour lui qu’une épouse désaffectée ; elle n’ignorait pas, bien qu’elle n’en parlât jamais, qu’elle était remplacée par la princesse Dolgorouka et peut-être prévoyait-elle que, le jour où elle disparaîtrait, un mariage morganatique légitimerait la liaison qui s’était formée de son vivant, mais elle avait sans doute pardonné, puisqu’on ne l’entendit jamais se plaindre et qu’il ne parût pas que ses rapports avec son mari eussent cessé d’être réciproquement confians.

Après sa mort, on racontait à la Cour de Russie que la remplaçante qui, disait-on, avait refusé de s’asseoir sur le trône, s’était prêtée à un mariage secret. Nous trouvons à cette date dans un rapport diplomatique quelques lignes qui font tableau : « Il y a peu de jours sur un tertre de Tsarskoïé-Sélo, d’où l’Empereur suivait les manœuvres de cavalerie entouré de son état-major, il y avait la princesse Dolgorouka et auprès d’elle la grande-duchesse Wladimir. » Saint-Simon dans ses Mémoires décrit un spectacle analogue dont les acteurs s’appellent Mme du Maintenon, Louis XIV et la Duchesse de Bourgogne.

Entre les images que présente la cour d’Alexandre II à la fin de son règne, il en est encore une qui mérite d’être évoquée ici et qui rappelle la cour du Grand Roi, alors que vieilli, désabusé, accablé par les revers, il ne dissimule plus la tristesse de son âme. C’est à Saint-Pétersbourg en 1880, au mois de mars. On célèbre au Palais d’Hiver le vingt-cinquième-anniversaire de l’avènement de l’Empereur. Il a réuni autour de lui, ce jour-là, ses anciens compagnons, ses courtisans, les dignitaires de l’Empire, parmi lesquels on remarque Gortschakoff qui, sous le poids des ans, semble n’être plus qu’une épave et qui va céder à de Giers la direction des affaires extérieures dont il a tenu tous les