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son tour, il avisé Arras, puis Béthune, puis Hazebrouck ; après le cœur ou la tête, les artères ou les nerfs ; après la capitale de la France, dont il fait volontiers la capitale de l’Entente, la mer; après la mer au plus près de la capitale, la mer n’importe où, avec les communications et les mines comme objectifs secondaires. Mais chacun de ces pas l’éloigne ; chacune de ces étapes marque une dégradation de ses ambitions et de ses espérances. Il les réduit, il les rapetisse, ou il les disperse, il les diffère, il les dilue. Pour nous, nous sommes sans illusion : nous avons encore devant nous de dures épreuves à supporter. L’Allemagne ne s’est pas lancée dans une pareille aventure, elle n’a pas joué et perdu des centaines de milliers de vies, pour y renoncer tant qu’elle ne sera pas sur les genoux ou plus bas, jetée à terre, tant qu’elle ne sera pas complètement épuisée; et nous ne nous faisons pas non plus cette autre illusion, elle ne l’est point. Cette bataille, qui devait être finie en quatre jours, n’est pas finie au bout d’un mois ; mais c’est ce qui nous sauve, comme nous avons été sauvés pendant quatre ans et probablement pour toujours parce qu’en septembre 1914, la bataille de la Marne nous a empêchés d’être écrasés d’un seul coup. Le mot de cette deuxième phase est : l’arrêt. Les Allemands sont « arrêtés » sur l’Oise, sur l’Avre, sur la Lys, comme ils l’ont été sur la Marne, sur la Somme, sur l’Yser, sur la Meuse, car, aussi bien, c’est quant à présent, le mot de toute la guerre, où, en Occident du moins, nul n’a jamais rien achevé. C’en a été le premier mot; mais tâchons que ce n’en soit pas le dernier. Il ne suffirait pas, après avoir (qu’on nous pardonne ce que l’expression a d’étrange) imposé passivement notre volonté à l’ennemi, en d’autres termes brisé, ou sinon brisé, courbé et infléchi la sienne, il reste à nous imposer activement à lui, à le plier, à le soumettre à la nôtre. Ce sera, cette quinzaine angoissante passée, l’affaire des semaines qui viendront.

Quelque pressée que soit l’Allemagne, ou plus exactement, l’Europe centrale, bon gré, mal gré, elle attendra. Elle subira, elle souffrira. Et sans doute elle est très pressée : c’est ce qui donne une apparence de sens à l’incartade du comte Czernin, parfaitement incompréhensible en dehors de cette explication : il a voulu, par de prétendues révélations sur une prétendue tentative de paix séparée, jeter la discorde dans l’Entente, affaiblir, abaisser, à l’heure même de l’offensive, le moral des Alliés, en éveillant contre un d’entre eux le soupçon de tous les autres; par-là même, relever le moral chancelant des Impériaux, que des carillons de victoire étaient impuissans à