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À cette allusion, M. le comte Czernin eût dû ouvrir les yeux, et se méfier. Mais non : Jupiter voulait le perdre, et l’avait déjà aveuglé. Le 6 avril, il communiquait une note aussi embarrassée qu’interminable sur les relations du comte Revertera et du comte Armand, sur la manière dont elles s’étaient engagées et la manière dont elles s’étaient rompues, sur les avances que, selon lui, avaient faites au gouvernement austro-hongrois le comte Armand, et, par le comte Armand, M. Clemenceau. Au lieu de retourner nettement le démenti, il ergotait, et s’attirait une deuxième ou troisième riposte.

M. Clemenceau a trop de planche pour ne pas tirer au corps quand le duel devient sérieux. Il en avait trop dit pour ne pas tout dire. Il ne lâchait pas le principal, « le personnage d’un rang fort au-dessus de celui du comte Czernin, » pour l’accessoire, un officier qu’on avait envoyé aux renseignemens. Il précisait impitoyablement : « Qui donc aurait cru qu’il fût besoin du comte Revertera pour élucider, dans l’esprit du comte Czernin, une question sur laquelle l’empereur d’Autriche avait lui-même prononcé le dernier mot? Car c’est bien l’empereur Charles qui, dans une lettre du mois de mars 1917, a, de sa main, consigné son adhésion aux « justes revendications françaises relatives à l’Alsace-Lorraine. Une seconde lettre impériale constate que l’Empereur était d’accord avec son ministre. » Là-dessus, comme il est aisé de l’imaginer, grand émoi à Vienne, d’autant plus vif que l’on entend l’Allemagne grogner. S’efforçant de fendre avant le coin, Charles Ier télégraphie à son allié, qu’il devine fort en colère. Il taxe d’assertion « tout à fait fausse et inexacte » l’affirmation de M. Clemenceau. Jamais il n’a parlé en ce sens de l’Alsace-Lorraine. Il est loyal et fidèle. Ses canons en témoignent à pleine voix. Lourdement, le comte Czernin insiste. A son tour accusé de mensonge, M. Clemenceau n’a plu» qu’à publier la lettre. Elle contient en effet cette phrase : « Je te prie (c’est à son beau-frère le prince Sixte de Bourbon-Parme que l’Empereur l’avait écrite en mars 1917) de transmettre secrètement et inofficiellement à M. Poincaré, Président de la République française, que j’appuierai par tous les moyens, et en usant de toute mon influence personnelle auprès de mes alliés, les justes revendications françaises relatives à l’Alsace-Lorraine. » Néanmoins, Guillaume II, contraint pour le quart d’heure de ménager l’Autriche, dissimule, redresse son sourcil froncé, affecte une mine sereine. Comment eût-il un seul instant pu douter d’un si bon ami? Mais le bon ami, en lui-même, n’est pas rassuré. Il veut prouver avec excès soit