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ce mystérieux château, car un désert entouré de murailles semble mille et mille fois plus désert que la simple solitude.

Lorsqu’on a franchi la porte qui s’ouvre sur ces enclos stériles, on reste un instant consterné. Au lieu des arbres, des prairies, des jardins que nous sommes habitués de voir autour de nos maisons royales, les yeux ne découvrent ici qu’un morne steppe embrasé et quelques buissons d’aloès saupoudrés d’une poussière impalpable, pareille à du poivre rouge. Ce n’est qu’en cheminant sous la chaleur écrasante qu’on finit par saisir la secrète beauté de ces grands aguedals solitaires et ce qu’ils expriment de puissance dans leur stérile abandon. Sur un ordre de ce château, perdu là-bas dans la lumière, des milliers de cavaliers viendraient ici dresser leurs tentes ; des milliers de chevaux animeraient de leurs hennissemens et de leurs fantasias ce steppe silencieux, où je ne vois à cette heure que le troupeau des vaches décharnées qui fournissent du lait au palais. Et la nudité même de cet endroit désolé, plus que des parcs aux arbres centenaires ou les jardins les plus fleuris, arrive à donner l’impression d’une majesté souveraine, d’une volonté qui se dérobe, et qui, pour se rendre inaccessible, n’a trouvé rien de mieux que de jeter entre elle et son peuple ces champs de sable, de pierraille et de lumière.

Tout à coup, une automobile, effarante et monstrueuse dans cet enclos du néant, débouche sous la porte par où je viens d’entrer, emportant d’autres invités avec leur carton de bristol. J’ai envie de leur crier : « A quoi bon courir si vite ? Pourquoi traverser avec une hâte si folle cette poussière embrasée ? » Sans doute, là-bas, ils vont voir des salles brillamment décorées, de hautes portes peintes, des mosaïques, des zelliges, des stucs, des plafonds de cèdre ; mais au milieu de ces choses gracieuses qu’abritent ces murs blancs et ces toits de nénuphar, trouveront-ils rien de plus saisissant que la royale solitude de ce grand aguedal silencieux ?…

C’est toujours la même chose en Islam : quand un mur, si fermé soit-il, laisse apparaître ce qu’il cache, on est surpris, de la façon la plus plaisante, de voir que tout ce grand mystère ne défendait en somme que la vie la plus simple et la plus familière. La cour où l’on entre d’abord est remplie de serviteurs, nègres pour la plupart, qui ne se distinguent de la foule indigène qu’on rencontre partout dans les rues que par le rouge