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pas à la latinisation le peuple flamand si longtemps asservi, » et qu’elle assurerait et hâterait le libre développement de votre race… » Les razzias se poursuivaient, razzias de vivres, razzias d’hommes, qui tarissaient et décimaient la race ; mais les messagers de M. de Bethmann parlaient toujours. « Il a promis encore, insistaient-ils, de « fournir au peuple flamand la possibilité, qui lui fut jusqu’à présent refusée, d’un développement cultural et économique autonome. »

L’Allemagne s’affichait comme une libératrice, éprise d’amour pour ces Flamands que la Gazette populaire de Cologne qualifiait « un groupe exposé de sang allemand. » Leur rédemption, leur récupération pour la culture germanique, devenait l’un des objets pour lesquels les vies allemandes se sacrifiaient ; et quiconque eût fait bon marché d’un tel but de guerre était accusé par la presse pangermaniste de « n’avoir pas conscience de la nature même de la guerre[1]. » Des agents secrets monnayaient en proclamations populaires, destinées à la « conscience flamande, » la doctrine de la science allemande sur les Flandres : « Vous avez produit Charlemagne, criait aux Flamands un certain Harald Graevell, vous ne devez pas rester plus longtemps les rebutés (Stiefkinder) de la famille germanique[2]. » de crainte, sans doute, que l’âme flamande ne fût insuffisamment flattée d’avoir l’âme allemande pour sœur, on lui restituait ainsi, comme père, Charlemagne en personne : que pouvait-on de plus, que pouvait-on de mieux ?

Les offres de cadeau succédaient aux gestes d’adoption. Les Flandres, avant la guerre, souhaitaient que les documents officiels fussent toujours plus hospitaliers à la langue flamande ; et l’Allemagne décidait, le 25 février 1915, que l’arrondissement de Bruxelles serait désormais considéré, au point de vue linguistique, comme une circonscription purement flamande, et non plus comme une circonscription mixte. Les Flandres, avant la guerre, réclamaient de la Chambre des représentants, et faisaient adopter en principe la création d’une Université flamande ; et l’Allemagne, à la date du 31 décembre 1915, se targuait de leur jeter une somptueuse étrenne en décrétant la « flamandisation » de l’Université de

  1. Paul Rohrbach, article de Das Grössere Deutschland, cité dans Passelecq, Pour teutoniser la Belgique, p. 60-61. (Paris, Bloud.)
  2. Passelecq, Pour teutoniner la Belgique, p. 32.