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grimpé dans un arbre, où des oiseaux s’effarent, et tournant vers sa mère des yeux féroces. La mère, au pied de l’arbre, lève le cou pour le suivre et l’encourager. On ne voit que le mouvement de son cou tendu et la ligne rose de sa gueule. Mais quelle expression d’orgueil maternel et de joie meurtrière !

Comme la Corée a eu ses architectes, ses porcelainiers, ses peintres, elle a eu ses poètes. Je sais bien que la poésie en Extrême-Orient n’est qu’un exercice à la portée de tous les lettrés et dont nos anciens centons de vers latins donneraient une idée assez exacte. Elle n’en reflète pas moins un peu du génie de chaque nation. Impressionniste et elliptique chez les Japonais, elle ressemble beaucoup plus chez les Coréens à la poésie occidentale, par ses développements, son tendre coloris, ses rêves, sa mélancolie sensuelle. Elle vous transporte dans la plus fabuleuse des Corées, où de beaux jeunes gens, que la flamme d’amour empêche de dormir, montent sur des chevaux blancs harnachés d’or. L’odeur des fleurs nocturnes pénètre leurs vêtemens. La lune éclaire les campagnes et les jardins. Dans une maison peinte, une jeune femme, en robe rose et en corsage vert, épie le cavalier à travers la mousseline de soie qui remplace au printemps le papier des fenêtres. Il la rejoint ; leurs deux êtres « se confondent comme le nuage et la pluie. » Et ils se séparent avec des larmes et des baisers. Et un océan cruel route ses flots entre eux, un océan qui refuse de porter les navires… À chaque instant, dans cette poésie, revient l’invitation ronsardienne à l’amour et le respect des symboles vivants de la tendresse. « Ô chasseur qui, le fusil sur l’épaule, descends de la verte montagne, chasse tous les oiseaux et tous les gibiers, le loup, le tigre, le cerf, le lièvre et le lapin. Mais ne tire pas cette oie sauvage qui a perdu son compagnon et qui crie en volant dans la clarté lunaire ! » Souvent aussi la sensibilité fait place à un humour qui nous surprend encore plus. La Chanson des Tasseurs de terre, dont M. Courant nous dit qu’elle fut écrite sous la dictée d’ouvriers coréens, a des parties excellentes : « Lorsque nos parents nous ont élevés, — heï heï y ri ! — ils nous ont fait apprendre les caractères chinois avec l’espoir que nous deviendrions plus tard des fonctionnaires. Mais nous n’avions point d’aptitudes, et nous n’avons point profité de ces leçons, — heï heï y ri ! — de sorte que nous sommes devenus des tasseurs de terre… Là-bas, dans un pavillon au