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chapeau droit. Quand il pleut, il le recouvre d’un haut éteignoir de papier huilé, qui ajoute encore à la solennité de sa démarche.

On imagine l’aspect que donnent aux rues coréennes ces femmes dont les seins ballottent, et ces paquets ambulants de voiles blancs ou d’un bleu tendre, et tous ces chapeaux et tous ces badauds qui les portent comme s’ils portaient le Saint Sacrement. L’oisiveté y est bruyante. Le Coréen a le verbe haut et criard. Quand deux voisins se font des politesses, le quartier en est assourdi. Les ouvriers et les campagnards se défatiguent à qui criera le plus fort. Vous entendez un fracas de voix discordantes : ce sont des joueurs d’échecs accroupis sur le seuil d’une échoppe et des passants arrêtés qui marquent les coups. Mais voici un rassemblement plus silencieux. Un homme, qui en oublie l’équilibre de son chapeau et dont le chignon bat furieusement les parois de sa cage, tire un chien par une corde L’animal, les pattes écartées et raidies, se laisse étrangler. La foule est grave ; les têtes s’allongent et couvent de regards affamés ce rôti récalcitrant de noces ou de funérailles. Quand on connaît l’appétit des Coréens, on ne s’étonne pas qu’ils froncent leur peu de sourcils devant la frugalité japonaise. Leur estomac, entraîné de bonne heure, atteint une extraordinaire élasticité. Il n’est pas rare de voir, au fond d’une boutique, une mère bourrer son enfant de riz, et de temps en temps, du dos de la cuiller, lui frapper sur le ventre pour s’assurer si la petite outre est bien tendue.

Ce peuple n’est pourtant pas un peuple méprisable. Les palais qu’il a édifiés le prouvent, et le Musée que les Japonais viennent d’ouvrir, et la Bibliographie Coréenne, que M. Maurice Courant publia en 1894. Les Japonais ont trouvé dans les anciens tombeaux des miroirs de bronze, des ornements d’or, des bijoux de jade, des éventails et surtout ces porcelaines craquelées, si délicatement nuancées ou d’une blancheur exquise, dont les Coréens ont laissé le secret s’éteindre et qu’au Japon les maisons seigneuriales et les temples bouddhiques conservent comme des trésors. Ils ont commencé une galerie de peintures, la plupart du XVIIe et du XVIIIe siècle, dont la beauté nous saisit. Les peintres japonais ne nous avaient pas habitués à cette vivacité de couleurs, à cette largeur du coup de pinceau, à cette science de la perspective. Je me rappelle un petit chat