après vingt ans de cloître, quel événement pour une petite ville ! Quel prétexte aux curiosités, aux papotages, aux intrigues ! L’auteur pouvait mettre son héroïne en contact avec le monde extérieur, et lui fournir ainsi toutes les occasions propices à l’évolution de son caractère ; un peintre de mœurs, en tout cas, n’eût pas manqué, — surtout en 1892, — de nous conduire chez les enfants de Marie, dans le salon de Mme la notairesse, sur le mail ou le cours lors de la promenade dominicale. M. de Curel a cloîtré Julie Renaudin entre les quatre murs de la demeure maternelle, et l’y condamne à une vie presque solitaire, car un seul objet lui importe : la survivance après vingt ans des passions qui avaient jadis provoqué la fuite de la coupable.
De même à quels conflits sociaux, à quelles tragédies publiques ne se prêtaient pas la Nouvelle Idole, le Coup d’aile et le Repas du lion ! Un homme a pris, dans l’estime des savants et dans l’admiration publique, la place de Pasteur, et voici que cet homme commet un crime de fanatique : il tue ! Par amour de la science, il est vrai ; mais il n’en fait pas moins figure d’assassin. Quelle stupeur, quelles colères, quelles rancunes ne va pas provoquer son aveu ! Quel drame scientifique, quel drame judiciaire peut-être ! Eh ! bien, non. Nous ne verrons ni juge ni commissaire. Enquête, perquisitions, il n’en est question d’abord que pour marquer la gravité de la situation ; bientôt tout s’apaise au dehors, tout s’arrange ; et nous ne nous intéressons plus qu’à l’âme d’Albert Donnat découvrant, avec la réalité de son crime, la nécessité d’expier, l’acceptant sans faiblesse, mais refusant de s’abîmer dans le néant définitif et tendant vers le ciel des mains avides et suppliantes.
Quelle tempête aussi pouvait déchaîner dans le monde politique, dans tout le pays même, le retour, après proscription d’ailleurs, de l’officier félon qui avait lancé contre ses camarades et son drapeau des hordes de sauvages ! Quel beau sujet de mélodrame, ou mieux de tragédie publique à la Shakspeare ! Quels tableaux on entrevoit, quels mouvements de foule, quelles luttes oratoires ! Non seulement M. de Curel ne porte le débat ni sur le forum ni à la tribune, mais il néglige le drame familial qui pouvait s’engager. Le retour de Michel Prinson nous inquiète d’abord pour les siens ; mais nos craintes s’évanouissent bientôt : Michel ne compromettra ni la fortune politique de son frère, ni la tranquillité de sa belle-sœur, ni le