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mariage de sa nièce. D’ailleurs, que nous sont tous ces gens-là ? Une seule chose nous importe : l’avenir de Michel lui-même, et non pas son avenir matériel, mais son avenir sentimental, son avenir moral, ou plutôt l’évolution lente qui nous révèle son vrai visage et son âme véritable. Le Coup d’aile, c’est l’Envers d’un forban.

De la même manière et pour les mêmes raisons, M. de Curel dans le Repas du lion n’a pas voulu, semble-t-il, écrire une pièce sociale. Les pièces sociales procèdent toutes du même type. Les intentions varient, mais démocrates chrétiens ou socialistes révolutionnaires emploient volontiers les mêmes procédés dramatiques : enluminure et déclamation. Ce ne sont pas tout à fait ceux de M. de Curel. Sans doute, il y a dans le Repas du lion des discours à grandes tirades, et le cinquième acte, souillé de sang, s’illumine de lueurs incendiaires. Mais ce dénouement n’a ni portée ni symbolisme social. Il marque moins la ruée de deux classes l’une contre l’autre que l’échec d’un individu. En effet, le véritable sujet n’est pas la question sociale, même réduite à la question ouvrière ; c’est le malheur d’une âme, généreuse et faible, prise entre deux idéaux contradictoires et qui, pour n’avoir pas su choisir entre le renoncement de l’apôtre et l’ambition de l’industriel, — cet aristocrate moderne, — souffre, fait souffrir et meurt dans un immense regret.

Simple hypothèse, dira-t-on ? — Simple explication plutôt de deux petits faits peut-être trop négligés jusqu’ici. Quand les grévistes ameutés s’élancent avec leurs torches, où portent-ils l’incendie ? A l’usine ? Non. Au château du patron ? Pas même. Mais, à la forêt du Seigneur. Et pourquoi ? Pour atteindre Jean de Sancy qui passa dans ce bois son enfance de petit sauvage, et qui, pour fuir la fumée et le bruit de l’usine, allait encore parmi « les bûcherons, les charbonniers et les chevreuils, y savourer la lumière et le parfum des fleurs. » Et quand, devant ce désastre qui, encore une fois, ne touche ni l’usine ni le patron, Jean crie sa douleur, son adversaire répond avec une joie féroce : « Bravo ! Vous souffrez ! Je n’espérais pas si bien réussir ! » — Le même Robert encore a mis deux balles dans son fusil. L’une, destinée au patron, a manqué son but. L’autre, réservée à Jean, le frappe en pleine poitrine. Et voici qui ne nous laisse aucun doute sur le caractère de ce dénouement.