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brode.) Il a l’ironie tantôt souriante, tantôt amère de l’homme du monde un peu blasé : « Là-bas, une femme disponible devient sacrée. » (L’Invitée.) — « Il m’a rendu suffisamment d’estime pour faire de moi l’institutrice de ses filles, auxquelles il donne sa maîtresse pour camarade. » (Ibid. I, 2.)

Par ailleurs, il trouve l’image brève et saisissante qui résume une situation et peint un caractère : « Est-ce qu’on ne sort pas du bagne au bout d’un demi-siècle sous les habits qu’on portait le jour du crime ? » — « Ici, nous demeurons sur le sommet d’une montagne d’où nous prenons notre élan vers Dieu. » (L’Envers d’une sainte.) — Chacun lève les yeux sur une étoile ; le ciel en a pour tous. » (Les Fossiles.) — « On a fauché toute la prairie pour sauver une petite fleur. » (Ibid.) — « La magnificence des mots accompagne l’amour comme le tonnerre suit l’éclair. » (La Danse devant le miroir.) — « Nous jetons entre nous des mots et encore des mots, comme des coussins épais qui amortissent les chocs. » (Ibid.) — « On ne pleure pas devant une tombe, quand on est soi-même dans la tombe. » (Le coup d’aile.) « Il vient de voir s’envoler pour toujours sa chimère aux longues ailes. » (Ibid.)

Et de l’image M. de Curel s’élève naturellement jusqu’au symbole. Quelquefois ce symbole, peu développé, n’est encore qu’un commentaire figuré apporté par l’auteur lui-même : « Enfants trompeurs et sincères, tous deux vous déclamez des rôles… Mais d’où vient qu’à tout bout de champ vous vous évadez du problème ?… Quel personnage invisible traverse la scène et vous fournit des répliques si belles que, si vous avez l’audace de les prendre, le reste de la pièce ne parait plus qu’une farce grossière ?… Oui, décidément, deux comédiens, mais avec un mystérieux associé… Votre amour, un vaudeville avec l’idéal pour souffleur ! » (La Danse devant le miroir.)

Mais qu’ils sont plus beaux, plus grands, plus émouvants, ceux qu’un personnage trouve pour exprimer l’incertitude, l’angoisse ou l’espoir de son âme douloureuse ! On connaît l’admirable couplet des nénuphars. On m’excusera d’en citer cependant l’essentiel : « On voyait, sous une mince couche d’eau, des centaines de boutons à coulure blanche, pareils à de petites têtes au bout de longs cous tendus, oh ! mais tendus à se rompre ! Tous les jours les tiges s’allongeaient mais s’effilaient en même temps. Je voyais mes plantes à la limite de l’effort.