Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/621

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par les vols nocturnes, le grand coup d’éventail des projecteurs lumineux anime le ciel.

Et ce qui a été noté est peu de chose auprès de tout ce que le peintre pourrait nous révéler sur les nuits de guerre : le feu follet, rouge clair, des canons tirant dans l’obscurité, qui piquent l’ombre de leurs éclipses précipitées ; , la blancheur spectrale des fusées éclairantes, retombant lentement sur le sol avec tout leur éclat, ou demeurant suspendues à la même place jusqu’au moment où elles s’éteignent ; le lugubre incendie des flammes de Bengale empourprant tout le ciel durant une demi-minute ; les perles rouges, jaunes, vertes des fusées employées pour les signaux, se groupant parfois en grappes lumineuses suspendues dans les ténèbres ; la longue chevelure rouge qui suit l’explosion des fusées lancées par les avions ennemis rentrant dans leurs lignes ; les voies lactées formées par les fusées allemandes dans les coins du ciel où un bruit de moteur leur fait soupçonner un avion ; l’éclairage immobile des chenilles incendiaires flottant dans le ciel en attendant le malheureux papillon humain qui viendra s’y brûler les ailes, s’il touche le fil qui relie les globules de feu ; l’ascension quasi indéfinie des boules blanches montant l’une après l’autre comme les gouttes d’un jet d’eau lumineux ; la courbe fulgurante de ces étoiles filantes que sont les balles « traceuses ; » parfois enfin, la fixe clarté d’un projecteur, découpant le voile de la nuit dans un quart de ciel : — tels sont, avec mille autres notations plus subtiles, que les mots ne peuvent rendre, et combinés avec les clartés naturelles, les thèmes d’une richesse inouïe offerts au coloriste par la bataille nocturne. C’est, avec le ni man’s land et l’animation du ciel pendant le jour, le troisième trait esthétique de la guerre moderne.

Un quatrième est l’abondance et la qualité des Ruines. Certes, ce n’est pas la première guerre qui ait fait des ruines, — elles en ont toutes fait, — mais c’est la première, du moins dans les temps modernes, qui en ait fait de si complètes et de si précieuses. Depuis des siècles, on n’avait pas rasé une ville, ni détruit un chef-d’œuvre. Sur les champs de bataille, on voyait, çà et là, une ruine : maintenant ce sont des paysages de ruines : Louvain, Nieuport, Arras, Ypres, Gerbéviller, Sermaize-les-Bains, Péronne, cent autres jusqu’à Reims, systématiquement détruits, effacés de la surface de la terre. L’horreur