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l’état normal. Comment le contribuable va-t-il payer le fisc ? Si absurdes que paraissent certaines hypothèses, elles doivent cependant être envisagées, car enfin la loi ne peut pas obliger un citoyen qui ne possède pas de numéraire à en verser au receveur des finances, ni à réaliser un bien pour lequel il ne trouve pas d’acquéreur. Le contribuable va donc remettre en nature au fisc une partie de son capital ? Abandonnera-t-il chaque année une perte du collier de sa femme ? Amputera-t-il un ou deux étages de sa maison qu’il offrira au percepteur ? Verra-t-on, comme dans certaines villes, la propriété d’un bâtiment se diviser en tranches horizontales superposées ? Ce serait un spectacle original que celui de cette copropriété entre Les particuliers et l’Etat. Ce dernier créera des dizaines de mille de fonctionnaires nouveaux chargés de gérer sa fortune foncière, de discuter les termes des baux, de percevoir les loyers. Voilà une perspective plus réjouissante peut-être pour les locataires que pour le budget. L’électeur qui ne pourra ou ne voudra pas payer son terme sera-t-il régulièrement poursuivi ? Sur quelles rentrées de ce chef le ministre des Finances pourra-t-il compter ? Et à la campagne ? Voit-on les champs, les prés, les bois, les vignobles, diminués chaque année des hectares, des ares, des centiares correspondant à l’impôt que le propriétaire n’aura pu acquitter en monnaie et qu’il paiera en nature ? Le fisc exploitera-t-il, et avec quel succès, les millions de parcelles qu’il aura saisies ? Ou bien les mettra-t-il en vente au fur et à mesure de la remise qui lui en sera faite ? Quel trouble, quel désordre jeté dans la vie du pays ! quelle insécurité du lendemain ! quelle perversion de toutes les idées de la famille française, vouée à un morcellement incessant de ce qui a constitué jusqu’à ce jour une de ses plus solides assises, la propriété foncière !

Le revenu est une base plus équitable et plus facile à atteindre que le capital. D’autre part, l’ensemble des revenus constitue une somme bien autrement importante que celle des seuls revenus provenant directement des capitaux. La richesse de la France était évaluée, avant 1914, à 250 milliards de francs. Au taux de 4 pour 100 ce total rapportait 10 milliards, c’est-à-dire beaucoup moins que le montant de notre budget d’après-guerre. D’autre part, les revenus des Français, en y comprenant les salaires, les produits du travail sous toutes ses formes,