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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/708

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REVUE DRAMATIQUE


Turcaret, à la COMEDIE-FRANÇAISE.


Ce qu’il y a d’admirable, c’est que, voilà une trentaine d’années, de hardis novateurs, étonnés de leur propre audace, s’avisèrent d’inventer le théâtre réaliste. Apparemment ils n’avaient pas lu Turcaret. Toutes les nouveautés que les théoriciens et les fournisseurs du Théâtre Libre réclamaient avec entrain et dont ils s’enorgueillissaient comme d’autant de découvertes, on les trouverait dans la pièce de Lesage, non pas en germe, comme on l’imprime benoîtement aujourd’hui, mais à la perfection et dans l’exacte mesure de proportion et de goût où la crudité du réel se concilie avec l’art. Les mœurs qui y sont peintes au naturel, sont abominables et on y respire la pure atmosphère du vice. Tous les personnages en sont diversement, mais pareillement méprisables, et Diogène lui-même armé de sa lanterne y chercherait, en vain un « personnage sympathique. » Chacun d’eux se trahit par la naïveté de ses propos et nous fait lui-même les honneurs de sa bassesse d’âme et de sa coquinerie. Il n’y a pas d’intrigue, à proprement parler, pas d’action dramatique, pas de nœud et de péripéties, mais des scènes qui se succèdent et parfois se répètent et n’ont pour objet que d’achever la peinture et de parfaire la ressemblance. Au surplus, en traçant ces croquis de mœurs, d’un trait net et que nulle émotion ne fait trembler, l’auteur n’a garde de s’indigner. Il constate, et conclut avec indifférence que tel est le train du monde… Voilà bien, et au grand complet, les traits essentiels d’un genre que les novateurs de 1890 nous ont présenté comme le dernier terme de l’évolution dramatique : ils n’y ont ajouté que quelques grossièretés. De quelque nom qu’on désigne ce genre, auquel il nous déplairait de conserver la basse appellation de comédie rosse, Turcaret en est le chef-d’œuvre.