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provisoire, Malgré l’Autriche, cette Commission a réussi à se maintenir et à se développer au point qu’il avait fini par se constituer, dans le delta du Danube, une sorte d’État international, ou, si c’est trop dire, un embryon d’État, ayant ses organes et le signe extérieur de sa personnalité, son pavillon, aux cinq bandes qui étaient de nos couleurs, bleu, blanc, rouge, blanc, bleu. Maintenant que, par la perte de la Bessarabie, la Russie est rejetée des bords du fleuve (et qui sait si ce n’est pas l’objet principal que l’Europe centrale se promettait du geste qui éventuellement donnerait cette province à la Roumanie, en compensation de la Dobroudja donnée aux Bulgares ?), le plan de l’Autriche, réalisant enfin son dessein opiniâtre, et de l’Allemagne dont c’est tout ensemble le système et l’intérêt, serait d’appliquer au delta le même régime qu’au cours supérieur, et d’en réserver uniquement le contrôle aux riverains. Cela ferait sept États au moins : cinq de la coalition, Wurtemberg, Bavière, Autriche, Hongrie, Bulgarie; et deux de l’Entente, Roumanie et Serbie. Encore n’est-il pas certain qu’une opération identique à celle qui a écarté la Russie ne se prépare pas contre la Serbie. En revanche, la Turquie, qui n’était plus riveraine du Danube, serait, pour prix de sa fidélité, réintroduite dans la Commission des riverains, à cause de ses côtes de la Mer-Noire. Mais l’Angleterre, la France, l’Italie, et la Russie, elle aussi signataire du traité de Paris, elle aussi établie sur la côte européenne de cette mer? Puisque l’Europe centrale a tenu à ce que le problème fût posé, qu’il le soit en ses termes exacts, et au complet. Elle revendique la liberté des mers ; nous revendiquons, nous, la liberté des grands fleuves internationaux. Elle veut le même régime sur le cours inférieur que sur le cours moyen et supérieur du Danube ; nous voulons, nous, le même régime sur son cours supérieur et son cours moyen que sur son cours inférieur. Elle ne veut, d’un bout à l’autre, qu’une commission de riverains ; nous, nous voulons, d’un bout à l’autre, une Commission européenne. Et ce que nous demandons pour le Danube, nous le demanderons tout autant pour le Rhin : la navigation du Rhin, fleuve international, et non fleuve allemand, soumise à un contrôle international. La révision du statut du Danube appelle la révision du statut du Rhin.

Sous aucun prétexte, nous ne pouvons permettre que les grands fleuves soient accaparés et que la liberté de navigation y soit supprimée, entravée ou seulement gênée. Rhin, Danube, ce ne sont pas des chemins qui aient été faits uniquement pour les États de l’Europe centrale. Les fleuves libres comme les mers libres ! Dira-t-on qu’il y a une différence essentielle et que les plus grands fleuves ont des rives?