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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/739

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transformé en officier adresse à sa famille, il apparaît si calme, si maître de lui, si entièrement adapté à l’effrayante aventure ! « Il n’y a que le danger, » écrit en mai 1915 le soldat de cinq mois, « pour mettre les nerfs en place. J’avais l’esprit trop inquiet quand je n’avais aucune raison d’inquiétude… » De cette tranquillité, il donne lui-même le principe, quand il se décrit, reposant parmi les gémissements des blessés et l’éclatement des bombes, un soir de bataille : « Et bien vite, je m’endormis. Pourquoi pas après tout ? Il suffit d’avoir la conscience tranquille, et l’on est bien vite à l’aise, car les prêtres ne manquent pas ici… » Cette paix intérieure s’appuie sur une foi profonde et sur d’autres motifs encore. La nécessité nationale de la guerre n’a pas fait doute une seconde dans ce vrai Français qui répugne, par instinct autant que par discipline, au sophisme, et chez qui la culture ne s’est jamais tournée en corruption, parce qu’il est demeuré très droit de cœur. Ce raffiné d’esprit n’est pas un décadent. Pour raconter les premières affaires auxquelles il prend part, cet intellectuel ne cherche pas d’autres formules que celles qu’emploierait naïvement un briscard quelconque : « On nous avait fait entendre que l’honneur du régiment était en jeu, et nous ne l’avons pas laissé perdre. » Il se trouve, dans une harmonie complète, absolue, avec les simples qui l’entourent, et cela, naturellement, parce qu’il n’a jamais, depuis qu’il réfléchit, séparé la pensée et la vie. Il a toujours voulu que sa pensée, à lui, pût servir, et la véritable « union sacrée, » celle qui efface les distinctions sociales comme elle réconcilie les théories adverses, c’est la sincère poursuite de ce que nos pères appelaient d’un terme aussi sagement réaliste que vénérable : le bien du service. Un sentiment s’ajoute chez Raymond Jubert à cette règle d’acceptation, pour lui interdire toute révolte contre sa nouvelle existence. Il porte une tendresse émue à ses compagnons de sacrifice. Tout de suite ce bourgeois a senti la noblesse et la beauté de l’âme populaire, telle que la révèle l’épreuve suprême de cette longue guerre. S’il est tenté par le découragement, il regarde les illettrés, ses camarades, et il fait d’eux ses juges. « Il y a tant de réconfort… » dit-il à ses parents, « à voir dans quelle estime vos hommes vous tiennent… »

Cette estime dont il est fier, il la leur rend : « Bien rares sont ceux sur qui je pense ne pas pouvoir compter entièrement. » Il ne se contente pas de les regarder avec un respect viril