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entendu est bien. Si le reste est (à) l’avenant, je vous le dirai, et nous verrons ce qu’il y a à en faire. En attendant, ne parlez de ce curé à personne. Tout se redit, tout s’ébruite, et si l’on savait qu’un curé vient faire du schisme avec moi, on saurait bientôt quel est ce curé, et on le mettrait en fourrière. De plus, on me le donnerait pour ami intime, malgré l’odor dl selvaggiume. Vous ne comprenez pas cela ? Vous êtes trop bête. Moi je le comprends depuis tout à l’heure, c’est un joli mot qui est dans la Mandragore de Machiavel. Quel chef-d’œuvre à propos, et Calderon ? Et moi qui n’avais jamais lu tout cela ! Ne manquez pas de me compléter ce théâtre[1]. Ce sont mes récréations tous les matins à 6 heures entre mon souper, et mon dodo. Voyez-vous mes mioches ? Donnez donc à Maurice des étrennes de ma part, je vous en tiendrai compte ; demandez-lui ce qu’il veut jusqu’à concurrence de 20 francs[2]… »

Dans ses lettres, F. Buloz fait allusion au procès en séparation de George. « Comment va votre affaire à la Châtre ? J’espère que tout finira bien. Papet craignait, il y a quelques jours, de l’opposition de M. Dud…[3] »

Depuis octobre, en effet, elle avait formé une demande en séparation contre son mari. Elle écrivait à sa mère le 25 octobre : « J’ai formé une demande en séparation contre mon mari. Les raisons en sont si majeures que, par égard pour lui, je ne vous les détaillerai pas. » D’ailleurs ils sont d’accord : nettement, la femme a posé au mari des conditions que celui-ci a acceptées. Le jugement sera fondé sur ces clauses : « Mes biens seront certes mieux gérés qu’ils ne l’étaient par lui, et ma vie ne sera plus exposée à des violences qui n’avaient plus de frein. » Et elle ajoute, prévoyant peut-être les objections de sa mère, que « rien ne l’empêchera de faire ce qu’elle veut faire, » et ceci, qui est admirable : « Je suis la fille de mon père, et je me moque des préjugés, quand mon cœur me commande la justice et le courage. » Elle suivra l’exemple d’indépendance et d’amour paternel que son père lui a laissé ; elle le suivra, dut l’univers s’en scandaliser ; elle ajoute bravement et joliment : « Je me soucie fort peu de l’Univers, je me soucie de Maurice et de Solange. »

  1. Le Théâtre Européen que F. Buloz lui avait envoyé.
  2. Inédite. Collection S. de Lovenjoul.
  3. 24 décembre 1835.