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peut conquérir, répétait-il, sur un ami ni sur un allié. » On sait avec quelle autorité irréductible l’empereur de Russie, Alexandre, s’opposa au projet de démembrement dressé par l’Etat-major prussien. Quelques Allemands même ont reconnu que les prétentions de leurs diplomates et de leurs hommes de guerre étaient excessives et injustifiées. Albert Sorel cite le témoignage de l’historien allemand Schaumann, qui écrit : « Chaque Français aurait senti la honte d’une cession de territoire au plus profond de l’âme, comme une atteinte à l’honneur national ; car l’aménagement intérieur de la France est tel que le Béarnais tient de plus près à l’Alsacien que, chez nous, le Poméranien au Souabe et, en général, l’Allemand du Nord à celui du Midi. » Mais, ajoute Schaumann, « on avait la force de triompher de tous les obstacles. »

Pour éviter une nouvelle guerre, il fallut renoncer à amener les Prussiens au respect intégral du Traité de Paris du 30 mai 1814. Le négociateur français, le duc de Richelieu, la mort dans l’âme et protestant contre la violence morale qui lui était faite, apposa sa signature, le 20 novembre 1815, au bas du nouveau traité qui, élargissant davantage encore la déchirure de notre frontière de l’Est, nous amputa, sur la Sarre, de toute la vallée inférieure de la rivière, depuis Sarreguemines. Forbach resta français, mais Fremerstrof, Hargarten, Merching, Haustadt, Becking, Rehling, Sarrelouis, Frauloutre, Hostenbach, Völkling, Geislautern, Sarrebrück, Saint-Arnual, Bischmischlein, Fesching, nous furent enlevés pour être donnés à la Prusse.

Telles sont les conditions dans lesquelles fut officiellement négocié et conclu cet abominable traité, consécration de l’abus de la force et du mépris d’engagements diplomatiques réitérés. Aussi n’a-t-il jamais cessé de soulever les protestations de la France. Comment en eût-il pu être autrement puisque, non seulement il nous arrachait des populations qui nous étaient sincèrement attachées, mais il ouvrait aux Prussiens, toujours prêts, à l’agression, le chemin de Paris, en nous privant de nos forteresses protectrices bâties par Vauban ? Notre frontière, jetée, suivant la forte et juste image de Victor Hugo, comme un haillon sur la carte de l’Europe, nous plaça dans une insécurité perpétuelle vis-à-vis de la Prusse, embusquée à notre porto et chargée d’exercer sur nous une véritable surveillance policière. De là, le malaise prolongé d’où sortit la guerre de