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terminée ; puis la poussière tombe, ne laissant dans l’atmosphère accablée de chaleur qu’une traînée de vapeur rose, et voici que s’avance vers nous une procession lente et blanche. Sur les pentes nues autour du palais des salves d’artillerie éclatent, et la marche solennelle du défilé continue à travers la fumée des pièces juchées sur les talus.

Les portes de la grande cour s’ouvrent ; les caïds, les chambellans, grands dignitaires de la maison, accourent, tous de blanc drapés, baisent l’étrier du maître, le bord de ses gazes neigeuses ; puis la procession, à pied, traverse la cour intérieure dallée de faïences, entre une double rangée de serviteurs, et va s’engouffrer sous l’arc outrepassé des salles de cérémonie du fond.

Subitement on nous fait signe de nouveau, et nous rentrons de la loggia. Une femme plus âgée, qui paraîtrait une vieille femme chez nous, mais qui n’a peut-être pas cinquante ans, vient d’arriver : nous savons que c’est la mère du seigneur de céans, et même si nous ne l’avions pas su, nous aurions deviné que nous nous trouvions en présence d’une personne d’un rang exalté.

Respectueuses et caressantes, les jeunes femmes l’entourent, et elle s’avance vers nous, petite, trapue, brune et ridée comme une vieille grenade, mais si noblement majestueuse sous sa coiffure de multiples fichus de gaze, qu’elle semble porter une couronne. A chacune de nous elle donne sa petite main grasse ; puis elle s’assoit et cause, sereine, souriante, mais si alerte, si humaine, en comparaison des autres, ces jeu nos créatures toutes si puérilement pareilles, et que nous semblons toujours voir à travers la gaze décevante d’un décor de théâtre !

La vieille princesse, elle, est Circassienne. Elle vient du pays des belles femmes, de celles qui ont toujours été les plus recherchées pour les harems princiers ; et peut-être elle aussi a-t-elle été très belle. Ce qui frappe en elle maintenant, c’est surtout l’intelligence alerte de sa figure à la fois astucieuse et bienveillante, c’est l’étincellement des yeux noirs, le sourire ironique et indulgent des lèvres ridées ; c’est surtout la dignité de la vieille femme qui ne cherche pas à se rajeunir, mais qui porte avec fierté l’empreinte des années et de l’expérience. On la dit une femme remarquable, le conseiller respectueusement écouté de son fils ; et l’on devine que son intelligence s’est