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reçoivent. Car ces jeunes femmes dans leurs caftans de brocart, ceinturés d’or et voilés de mousseline rose, mauve ou bleu tendre, ces jolies femmes aux coiffures compliquées, aux visages tatoués, aux pieds nus bronzés par le henné, sont les mêmes que nous voyons dans ces photographies en toilette de bal à volants, coiffées à l’européenne, et combien gauches et ridicules et heureuses dans leurs costumes d’Occidentales affranchies !

Ces photographies, c’est le passé, c’est la liberté, c’est presque l’Europe ; car les femmes du grand Caïd sont des Circassiennes, élevées à Constantinople, où les dames turques circulent presque librement, échangent des vigiles, se promènent dans les bazars, s’habillent à l’européenne. Et dans les beaux yeux peints levés vers ces photographies, quelle nostalgie, que de regrets… mais aussi quelle résignation atavique, quelle acceptation tout orientale du sort que le destin leur réserve !

En tout cas, elles sont bien plus animées, plus vivantes que les grandes dames de naissance marocaine, — et combien heureuses de causer avec mon amie, dont elles connaissent la belle-sœur, et qui peut, en arabe, leur donner de ses nouvelles !

Tandis que j’écoute leur gentil babil, j’essaye de deviner laquelle d’entre elles est la préférée, ou tout au moins la première par le rang. Est-ce la jolie créature au visage rond, habillée d’un caftan rose thé recouvert de gaze bleu pale, et qui porte entre ses bandeaux noirs une perte baroque en ferronnière ? Ou bien celle, moins jolie, mais plus vivante, plus expressive, qui s’est installée derrière le samovar et surveille les préparatifs du thé ? Ou bien encore la petite brune aux grands yeux fendus, que sa pose langoureuse et son riche caftan de velours rouge brodé d’or, sur lequel retombent de multiples colliers de perles, transforment en « Haïdée » de gravure romantique ? Ou encore la grande mulâtresse, si noble et libre d’allures, si splendidement drapée de brocart bleu voilé de mousselines roses, et que les autres jeunes femmes traitent avec un si amical respect ?

Comme dans tous les harems « distingués, » une égalité parfaite semble régner entre ces dames, et il nous est impossible de deviner laquelle d’entre elles dépasse les autres, soit par le rang, soit par la faveur du maître…

On a demandé à mon amie des nouvelles de son petit garçon ; et elle, en retour, demande à voir les enfants de ces dames.