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— Alors, votre mère est Française, Mademoiselle ?

— Oui, Madame.

— Et de quelle partie de la France ?

— Je ne sais pas trop, Madame. De la Suisse, je crois.

Elle peut à peine balbutier quelques mots de français, et de son ascendance occidentale il ne lui reste que les traits et le teint clair. La mentalité est déjà arabe, et elle parait aussi complètement façonnée par le sérail que les Marocaines qui nous écoutent avec leur vague sourire résigné…

Je suis dans un harem du Makhzen, du monde fermé de l’aristocratie de cour : on y devine une simplicité patriarcale de mœurs, une sobriété voulue dans l’ordonnance de la vie et de la toilette. Et cependant, cette atmosphère « bourgeoise » que je sens ici, je l’ai retrouvée dans tous les harems que j’ai visités, même ceux où les appartements étaient bien plus vastes, les toilettes plus élégantes. Et chaque fois j’ai constaté la même chose. Voici des femmes, — disons-le franchement, — dont l’unique préoccupation est de plaire au maître, et qui n’ont qu’un moyen de plaire, le moyen le moins relevé par les attraits de l’intelligence ou de la fantaisie. Tous les conteurs arabes célèbrent celle constante préoccupation d’un troupeau de femmes perpétuellement concentrées sur l’unique question d’attirer à elles le mâle unique ; et il n’est pas besoin de causer longtemps avec les Européens qui habitent les pays musulmans pour savoir que c’est le sujet autour duquel tournent le plus souvent les conversations entre hommes. Du reste, femmes légitimes et concubines sont étroitement associées dans la vie du harem. Rien de plus démocratique en apparence que les rapports entre ces femmes et leurs enfants ; enfants de princesses circassiennes, et de négresses affranchies par leur maternité, se roulent ensemble sur le même tapis, sous les yeux ravis de leurs mères accoudées sur le même divan et se passant, de main en main, le dernier poupon frisé qui fait la joie du harem, qu’il soit né d’une descendante des Fatimites ou d’une pauvre Soudanaise clandestinement achetée au marché des enclaves.

Eh bien ! que voit-on, que devine-t-on, sur les visages de ces femmes ? Toutes, également ont le regard et le sourire de bonnes et douces mères de famille. Sur aucun visage féminin je n’ai découvert la moindre trace de coquetterie ou de