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provocation sensuelle. Même les jolies favorites du Grand Seigneur dans leur mirador de faïence avaient le regard naïf et étonné de petites mariées dont les sens ne sont pas encore éveillés. Et ce n’est pas seulement dans les harems que j’ai constaté cette innocence du regard. J’ai vu les Ouled Naïl dans le désert algérien, j’ai assisté à des danses dans des bouges arabes de lointaines villes africaines. Eh bien ! même ces femmes, dont les gestes ne laissaient rien à l’imagination, avaient une naïveté, une simplicité dans le regard, qui me déroutait. Tandis que les filles européennes qui dansaient à leurs côtés, costumées et maquillées en Ouled Naïl, se révélaient toujours par leurs œillades provocantes, par leurs sourires de basses prostituées, les autres, les vraies, gardaient, au-dessus du corps se tordant dans les convulsions rituelles, le visage naïf de petites filles sages et plutôt bêtes.

Quelle est donc l’explication de ce mystère ? Je ne crois pas qu’il faille la chercher dans le sentiment d’extrême décence qui ferait partie de la longue tradition des bonnes manières orientales. Certes, les Arabes de bonne souche ont une distinction suprême, une réserve qui pourrait bien être fondée sur la méfiance du guerrier nomade plutôt que sur une conception abstraite de la dignité. Mais, en tout cas, ce qui m’a frappée chez les femmes arabes, — c’est-à-dire celles qui sont cloîtrées, — c’est moins leur réserve et leur décence que l’absence apparente en elles de tout désir de séduire.

Chez l’Occidentale, la réserve la plus hautaine, la décence la plus exagérée, ne cachent pas ce désir… au contraire. Et je mets au défi une femme tant soit peu intelligente de ne pas découvrir, dans le regard et le sourire d’une autre femme, cette qualité féminine entre toutes. Il y a un abîme entre la femme qui dissimule sa sensualité et celle qui n’est pas sensuelle.

Eh bien… je ne découvre aucune sensualité dans le regard atone de ces musulmanes cloîtrées. Toutes, sans exception, elles me font l’effet de bonnes ménagères manquées, — je dis manquées, car il est notoire qu’elles ne peuvent pas même tenir une aiguille, ni préparer un plat, ni soigner leurs enfants, qu’elles couvrent de caresses, mais qu’elles ne savent pas, même dans les harems les plus aristocratiques, guérir du plus simple bobo.

En tout cas, il est certain que le sentiment maternel paraît beaucoup plus développé chez ces douces créatures que le désir