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France. Le lyrisme continu peut bien convenir à la jeunesse d’une race ou d’une littérature ; il ne saurait suffire au sens rassis, à la sagesse apaisée et lucide de la maturité. Ceux-là seuls qui n’ont pas beaucoup vécu, ni longuement réfléchi peuvent croire que l’individu isolé puisse vivre et se développer en dehors et sans l’appui des autres hommes. Compromis par ses excès mêmes, le romantisme ne tarde pas à être battu en brèche de toutes parts et à tomber en décadence. C’est le spectacle auquel nous assistons entre 1840 et 1850, et auquel collaborent d’ailleurs d’authentiques représentants convertis du romantisme. Sainte-Beuve en critique ; Mérimée, Stendhal et Balzac dans le roman ; Thiers et Guizot en histoire ; Auguste Comte et Lamennais en philosophie ; Proudhon en sociologie sont les principaux ouvriers de cette transformation collective, que les événements politiques contemporains, bien loin de la contrarier, favorisent singulièrement. Quand s’ouvre le second Empire, le romantisme est mort, comme, il y a vingt ans, le classicisme.

Sur les ruines du classicisme et du romantisme une nouvelle école va se constituer, le réalisme, qui, profondément éprise d’objectivité et d’impersonnalité, s’efforcera, de 1850 à 1880, de manifester dans tous les genres la fécondité de ses principes. Tandis que, pour correspondre à des besoins nouveaux, d’anciens écrivains se renouvellent, comme Victor Hugo, Sainte-Beuve, Théophile Gautier et George Sand, de nouveaux venus, pleins d’ardeur et parfois de génie, multiplient les œuvres originales et durables : Taine en critique et en philosophie, Renan en histoire, Emile Augier, Sardou et Alexandre Dumas fils au théâtre, Flaubert dans le roman, Leconte de Liste et Heredia en poésie. Les événements de 1878 encouragent et précisent ces nouvelles tendances, dont le triomphe paraît alors définitivement assuré.

Cependant, il semble, aux environs de 1880, que la lutte entre les deux principes opposés va redevenir plus âpre. « L’individualisme, disait Brunetière, rassemble toutes ses forces pour livrer un dernier combat. Quand on pénètre au-delà de la surface des choses, l’agitation qu’il se donne ressemble aux convulsions de l’agonie ; et ce que l’on commence à craindre en vérité, c’est que sa défaite ne soit trop profonde. Car il en est des principes adverses qui maintiennent l’équilibre