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souhaita enfin bon séjour, après qu’il lui eut dit et répété : « Au revoir. » Il voulut fermer lui-même la portière de l’auto. Et il ne rentra en courant que lorsqu’elle fut partie. On assure que, lorsque cette auto s’arrêta, quelques minutes plus tard, Hlillyer Place, devant la légation de Suisse, le ministre était encore tellement ahuri, qu’il se passa plusieurs minutes avant qu’il se décidât à descendre.

Le 14 février, enfin, l’ambassadeur quitte les Etats-Unis, dans un grand concours de correspondants de journaux venus pour assister à son départ. Il leur laisse, comme une dernière et colossale ironie, la déclaration écrite suivante :

« Je n’ai jamais menti à aucun correspondant de journal depuis que je suis à Washington. Il m’est arrivé de ne pas tout vous dire, car, dans la position que j’occupais, cela m’était impossible ; mais tout ce que j’ai pu vous dire a toujours été vérité d’évangile. Je ne sais, quand je serai rentré en Allemagne, où j’irai. Cela dépend. J’irai d’abord à Berlin, puis, peut-être, chez moi, près de Munich. C’est tellement incertain ! Tout ce que je sais maintenant, je n’en puis rien dire. »

Il quitte enfin le pays dont il a reçu l’hospitalité, avec l’espoir d’y laisser tout un réseau d’intrigues si parfaitement organisées, qu’il pourra continuer à les diriger de Berlin comme s’il était à Washington. Nous savons assez comment c’est le contraire qui s’est produit et que, sous la pression des événements, l’Amérique a fait, elle aussi, admirablement « l’union sacrée » entrant chaque jour plus résolument dans la voie de la guerre. Il est arrivé au comte Bernstorff ce qui advient souvent à la catégorie de négociateurs à laquelle il appartient. Dans l’extraordinaire amalgame de combinaisons, d’intrigues et de fourberies, dont nous venons d’essayer de donner quelque idée, il avait tout arrangé et tout prévu, et enfin il avait tout considéré, sauf pourtant ce qu’il avait tout près de lui, devant lui et sous ses yeux : la droiture du peuple américain et l’irréductible amour du droit qui devait inspirer sa résolution à l’éminent homme d’État et au grand honnête homme qui est le Président Wilson.


GEORGES LECHARTIER.