grâce à son argent, grâce à ses laboratoires. Si, Américain d’Europe, Nobel n’avait pas concentré une grosse industrie d’explosifs, il n’y aurait pas de prix Nobel et la Science aurait perdu des moyens d’action. En souhaitant que notre France, qui le peut, s’américanise à son tour à cet égard, qu’elle permette à ses industries de sortir de leurs cadres étriqués, je songe à tout ce que la richesse concentrée peut et doit faire pour les arts, la science, la pensée, à ce qu’elle lit dans la Rome de Mécène, dans l’Italie de la Renaissance, dans l’Amérique de Roosevelt et de Wilson. Renan a là-dessus écrit ici même jadis des pages qui sont plus vraies que jamais… Et maintenant, revenons à l’acide sulfurique, sang de la machine guerrière.
Lorsque la guerre éclata, on peut estimer que l’industrie française était capable de fournir par ses propres moyens environ 5 400 tonnes d’acide sulfurique par mois, dont la plus grande partie produite par la Compagnie de Saint-Gobain. Cette production fut mise immédiatement à la disposition de la défense nationale. Dès la fin 1914, la Compagnie de Saint-Gobain était chargée par le gouvernement, d’accord avec les autres fabricants, de procéder à la répartition entre les poudreries et les usines travaillant pour elles, de ces quantités mensuelles. Mais dès ce moment, le service des poudres, — dont on saura quelque jour la féconde et silencieuse activité dans cette crise, — prévoyait que ces quantités seraient de beaucoup insuffisantes. Qu’était-ce, en effet, que 18 tonnes par jour, alors qu’il fallait prévoir une dépense de munitions continuellement croissante et correspondant à des millions de fusils, à des dizaines de milliers de canons ?
On connaissait l’effort accompli dans ce dessein par l’Allemagne et qui atteint aujourd’hui une production mensuelle supérieure à 100 000 tonnes ; d’acide sulfurique par mois.
Dès lors, le service des poudres, soucieux de ne pas rester inégal à cet effort ennemi, demandait à Saint-Gobain d’intensifier sa production, de créer de nouvelles usines et surtout de réaliser de nouveaux appareils de concentration permettant de fabriquer en grand l’acide très concentré et l’oléum. Ce n’était pas chose facile à cause des difficultés de main-d’œuvre, de transport, parce que plusieurs usines de la Compagnie étaient en pays envahi, et surtout parce qu’il fallait créer, improviser des modes de fabrication et des appareils nouveaux.
C’est que si Saint-Gobain avait, avant la guerre, la principale production française d’acide sulfurique, cette production était destinée à un tout autre usage que la fabrication des explosifs : à celle des engrais.