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mais que le prochain bateau (il en part un par semaine) portera mon manuscrit au consul de Barcelone, qui le fera passer à Buloz par la voie la plus courte et la plus sûre. Mais malgré les promesses de toute la navigation, les vents et les flots de Neptune peuvent retarder l’envoi, car, quand le vent du nord souffle sur Palma, on y est bloqué. Cependant, quoi qu’il arrive, la fin de Spiridion ne manquera à la Revue que d’un numéro, si elle manque toutefois : je mets tout au pire.

« Voilà de nos nouvelles en attendant. Buloz fera la grimace. Vous qui n’êtes point éditeur, mais une petite amie bien gentille et bien aimable, vous m’en saurez gré, et vous prierez pour que l’hiver nous soit favorable, car les cheminées sont totalement inconnues à Mallorque. Jusqu’ici, Maurice va très bien. Il s’amuse comme un bienheureux. Sans les mosquitos, nous serions tous délicieux ; mais nous avons tous la figure et les mains tachetées comme des truites, et nous nous grattons comme des… suffit.

« Bonsoir, chère enfant ; embrassez pour moi le beau petit Paul. Mes enfants l’embrassent et vous embrassent aussi. Pensez à nous quelquefois, et aimez-nous toujours.

« Je vous ferai un roman sur Palma, — qui pourra être divertissant ; depuis le peu de temps que j’y suis, j’ai déjà vu des coutumes et des habitudes dont on n’a plus d’idée en France : c’est un pays en arrière de trois cents ans au moins. Voilà les voitures à la dernière mode… (Ici un croquis.) Ajoutez à cela quatre mulets et des rues en escalier. Quand on va au petit trot, on fait scandale, et on est traité de casse-cou. Du reste, palais arabes, orangers, citronniers, palmiers, montagnes magnifiques, la mer comme un beau lac, des vallées délicieuses, et une population excellente. Si nous pouvons nous caser commodément, nous y passerons l’hiver.

« Déposez vos lettres pour moi chez Marliani[1]ou bien à M. l’agent des Affaires étrangères à Marseille pour faire passer à M. Gauthier d’Arc, consul de France à Barcelone, et sous l’enveloppe seulement à Madame Sand, à Palma. Il me les fera parvenir.

« A vous de cœur, chère.

« GEORGE.

  1. Ami de George Sand.