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« Pour la troisième ou quatrième fois, je vous préviens que la troisième partie de Spiridion a été envoyée du Plessis-Picard près Melun. La faire réclamer au besoin à M. Du plessis.

« Voulez-vous dire à Buloz de prévenir M. Molé que, pour plus de sûreté dans l’envoi des manuscrits, je me permettrai de les lui adresser nominalement ; je n’ai pas songé à lui en demander la permission, mais il a été si gracieux pour moi que j’oserai[1].

« P.-S. — Mercredi. — Le courrier, c’est-à-dire le paquebot, n’est pas revenu de Barcelone, c’est-à-dire que ma lettre ne partira d’ici que demain. Je la laisse au consul pour vous l’envoyer, et je pars pour la campagne, où je suis installée, avec maison meublée et jardin, dans un site magnifique, pour 30 francs par mois. J’ai en outre arrêté une cellule, c’est-à-dire trois pièces et un jardin pour 35 francs par an dans la chartreuse de Valdemosa, immense et magnifique couvent, désert au milieu des montagnes. Notre jardin est jonché d’oranges et de citrons, les arbres en cassent. Nous avons des haies de cactus de vingt et trente pieds de haut, la mer à une demi-lieue, un âne pour aller à la ville, des chemins inaccessibles aux visiteurs, des cloîtres immenses et de la plus belle architecture, une église charmante, un cimetière avec un palmier et une croix de pierre comme celle du troisième acte de Robert le Diable, des parterres de buis taillé. Le tout habité par nous seulement, une vieille femme pour nous servir, et le sacristain porte-clefs intendant majordome, maître Jacques en un mot. J’espère que nous aurons des revenants. La porte de ma cellule donne sur un cloître énorme, et quand le vent pousse la porte, on entend comme une canonnade dans tout le couvent.

« Je suis dans l’enchantement, et je crois que j’habiterai la cellule plus que la maison de campagne qui en est, au reste, éloignée de deux lieues.

« Vous voyez que la solitude et la poésie ne me manqueront pas. Si je ne travaille pas bien, il faudra que je sois une f… bête. »

Cet enthousiasme n’eut qu’un temps et ne dura guère plus de quelques semaines ; bientôt, on se heurta à mille difficultés

  1. Elle était allée voir M. Molé avec V. Buloz et celui-ci note : « Je l’ai menée aux Affaires étrangères par le petit escalier ; » elle voulait obtenir alors l’exequatur de Marliani. « On n’est plus si républicain quand il s’agit de cela. »