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Maximes des saints. Rousseau a-t-il lu ces Maximes ? « Ce n’est pas probable, » répond M. Seillière ; « mais il fut certainement un admirateur de cette correspondance spirituelle ou de ces manuels de piété dont Fénelon lui-même facilita l’édition et qui, dès les premières années du XVIIIe siècle, prirent leur place dans toutes les bibliothèques dévotes. » Les manuels de piété féneloniens se trouvaient-ils, Rousseau les a-t-il trouvés, dans la bibliothèque de Mme de Warens ? « Sans nul doute ! » répond M. Seillière ; et, autant dire, c’est probable ou c’est possible. Mais il y a, pour nous convaincre davantage, ce passage des Rêveries : « L’étude des bons livres auxquels je me livrai tout entier renforça auprès de Mme de Warens, mes dispositions naturelles aux sentiments affectueux et me rendit dévot presque à la manière de Fénelon… » Beaucoup plus tard, il savait gré à ces bons livres d’avoir fourni « à son âme encore simple et neuve les sentiments expansifs et tendres faits pour être son aliment, la forme qui lui convenait davantage et qu’elle a gardée toujours… »

Il n’est pas défendu de conjecturer que ces bons livres, ou quelques-uns de ces bons livres, étaient précisément les manuels féneloniens ; cependant, Rousseau ne le dit pas et dit seulement que ses lectures, — et la solitude champêtre, — le rendirent dévot presque à la manière de Fénelon.

M. Seillière revient à Rousseau dans le Péril mystique, Rousseau visionnaire et révélateur : « Jean-Jacques avait été, de son propre aveu, pénétré de la pensée fénelonienne à l’heure de sa formation intellectuelle et sentimentale… » Non, ce n’est pas exactement ce que dit Rousseau. Cherchons encore les petits faits. Si l’on n’ose affirmer que Jean-Jacques, à l’heure de sa formation intellectuelle et sentimentale, ait lu les manuels féneloniens, du moins avait-il lu le Télémaque et lu peut-être la préface du Télémaque, par André-Michel Ramsay, disciple de Fénelon : cette préface est un exposé du fénelonisme ; ajoutons, du fénelonisme à la manière de Ramsay. M. Seillière note que Ramsay a très « légèrement » prêté à Fénelon plusieurs idées de Ramsay… Rousseau, se promenant avec Bernardin de Saint-Pierre aux environs de Paris, se souvenait de sa jeunesse, de sa piété, de Fénelon : « J’aurais voulu, disait-il, être son laquais pour devenir son valet de chambre ! » Il y a là de l’impérialisme et de la modestie ensemble… Mme de Warens, qui avait eu sa jeunesse entourée de guyoniens et qui était « une guyonienne plus ou moins consciente, » — mais, reconnaissons-le, une guyonienne qui aurait