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fait pousser des cris à Mme Guyon, — Mme de Warens « a donc pu transmettre à son protégé les consolations quiétistes. » C’est possible ; et, dit M. Seillière, « il est probable que Mme de Warens avait emprunté de l’école quiétiste son ignorance voulue de l’enfer et sa préoccupation du purgatoire. » Bien ! Mais, s’il faut conclure de là qu’aux Charmettes l’influence de Fénelon « marqua Rousseau d’une ineffaçable empreinte, » M. Seillière n’hésite pas ; son lecteur hésite un peu. Saint-Preux, dans l’Héloïse, écrit à Julie : « Vous le savez, il n’y a rien de bien qui n’ait un excès blâmable, même la dévotion qui tourne en délire… Vous ne voyez pas encore les piétistes, mais vous lisez leurs livres. Je n’ai jamais blâmé votre goût pour les écrits du bon Fénelon ; mais que faites-vous de sa disciple ?… » Autrement dit, Mme Guyon n’est qu’une démente ; et Fénelon, c’est « le bon Fénelon. » Autrement dit, Rousseau, s’il est guyonien, ne s’en doute pas : s’il s’en doutait, il ne mépriserait pas l’auteur du Moyen court et des Torrents ; s’il appelle Fénelon « le bon Fénelon, » ce n’est pas le signe d’un fénelonisme véritable.

On disait alors « le bon Fénelon, » comme on le dit encore et cela n’engage à rien. En retour, on accuse volontiers Bossuet de férocité : cela non plus n’engage à rien. Fénelon, qui n’était pas simple, avait notamment de la bonté ; ce n’est pas tout ce qu’il avait. Brunetière écrivait : « Il y a de tout en lui, Saint-Simon avait raison : du docteur et du novateur, pour ne pas dire de l’hérétique ; de l’aristocrate et du philosophe, au sens où le XVIIIe siècle allait entendre ce mot ; de l’ambitieux et du chrétien ; du révolutionnaire et de l’inquisiteur ; de l’utopiste et de l’homme d’État ; du bel esprit et de l’apôtre ; tous les contraires dans la même personne, et dans un seul esprit toutes les extrémités. » Le XVIIIe siècle avait choisi de remarquer principalement sa bonté. Mais, dans la querelle du quiétisme, qui a raison, de lui ou de Bossuet ? Bossuet, sans aucun doute. Or, le XVIIIe siècle a vivement préféré Fénelon. Pourquoi ? Parce qu’il n’aimait pas du tout Bossuet. Et Fénelon, pour enchanter les philosophes, avait sa qualité quasi hérétique : il avait pour lui d’avoir été condamné à Rome ; après cela, que vous faut-il ? De nos jours, les plus fameux anticléricaux et libres-penseurs décernent leur indulgence ou leur amitié aux jansénistes : non que, sur la doctrine de la grâce, ils s’entendent avec Pascal ; mais le jansénisme sent le fagot. Pareil fumet valut à Fénelon sa clientèle de philosophes. M. Seillière cite un article très amusant que publiait, dans le Journal des Débats, en 1802, l’abbé de Boulogne, qui devint évêque de Troyes.