Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/232

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’abbé de Boulogne se plaint de l’usage et de l’abus qu’ont fait du nom de Fénelon les philosophes et les jacobins : « Tous les maniaques sentimentaux dressent des chapelles en son honneur et le placent sur le même autel avec Jean-Jacques ! Il n’y a pas même jusqu’à ces hommes qu’on n’appelle plus par leur nom, tant il est odieux, qui ne l’aient inauguré dans leurs repaires, après l’avoir plus d’une fois flétri dans leurs tribunes d’une mention honorable… De là, ce refrain éternel : la religion de Socrate et de Fénelon, la religion de Fénelon et de Marc-Aurèle !… » Le bon Fénelon de Rousseau, n’est-ce pas quelque chose de ce genre, au bout du compte ?


Ces rapprochements de Socrate et de Fénelon, de Marc-Aurèle et de Fénelon, M. Seillière les réprouve, comme des facéties du « prétendu rationalisme révolutionnaire. » Le rapprochement de Fénelon et de Rousseau me paraît le triomphe de l’esprit théoricien. Les petits faits ne prouvent pas autant que le voudrait M. Seillière, et ne prouvent pas du tout que Rousseau ait subi profondément l’influence de Fénelon. Mais, leurs doctrines se ressemblent ? On n’en finirait pas d’énumérer les différences : et qui ne les voit ? L’analogie la plus frappante que signale M. Seillière, la voici. Le quiétisme divinise, en quelque sorte, les impressions et les spontanéités de l’homme intérieur ; le quiétisme, en quelque sorte, a réhabilité l’instinct : bref, le quiétisme suppose l’âme humaine apte à connaître Dieu par le pur amour. C’est la négation du péché originel : et c’est proclamer la bonté naturelle de l’homme. La bonté naturelle de l’homme : voilà Rousseau. N’allons-nous pas un peu vite, un peu loin ? « Soucieux de ne pas heurter de front le dogme, dit M. Seillière, les quiétistes présentent seulement cette bonté comme très facilement restaurée dans l’homme par l’élan effectif ; les rousseauistes l’espéreront facilement réveillée d’un regrettable sommeil par la suppression de la culture sociale consciente, qui n’a fait que justifier le moi impérialiste dans l’homme. » Eh ! bien, oui ; mais enfin l’extase des quiétistes et la bonté naturelle que Rousseau attribue à l’homme, ce n’est pas la même chose !

L’idée de la bonté naturelle de l’homme fût-elle contenue, implicitement affirmée, dans l’extase des quiétistes, Fénelon ne s’est point avisé de l’y voir, ou de l’y voir comme Rousseau l’a vue. Il a fallu Rousseau ! Et, que Rousseau soit déjà dans Fénelon, c’est difficile à voir. Mars, qu’il y ait un peu d’analogie entre eux, qu’ils appartiennent l’un et l’autre à une même « dynastie de rêveurs, d’inquiets et